Larzac 2003, je dois bien lavouer, jy suis allé pour les concerts, en
particulier celui de Manu Chao que je navais pas pu voir à la fête de lHuma
à Paris, tellement il y avait de monde massé devant la scène. Cest donc avec un
il béotien que jai observé ce festival organisé par la Confédération
paysanne, et cest à travers mon filtre que je vous en livre mes impressions.
Pour ce qui est de laspect extérieur, le site était proprement énorme. Je
navais jamais rien vu de tel, et pourtant je suis un habitué des festivals. La
première chose qui ma frappé et séduit cest que le festival était
bilingue, occitan/français. Les affichages et les annonces étaient pratiqués dans les
deux langues. Un beau pied de nez au rouleau compresseur linguistique français. Partout
des drapeaux occitans, un drapeau basque qui traînait, pas un drapeau français! Beaucoup
de drapeaux palestiniens aussi, car visiblement la confédération paysanne et ses alliés
ne dissocient pas le soutien à la Palestine de leur lutte contre les OGM et lOMC
(?). Un curieux mélange de régionalisme et dinternationalisme, mais qui nest
peut-être que conjoncturel, dû au rapprochement de groupes comme Attac et la
Confédération paysanne. Cette entente est-elle faite pour durer? Défendre les
intérêts des peuples face à limpérialisme, certes jadhère, mais je me
méfie toujours du discours des gens dextrême gauche, chez qui on retrouve au final
une sorte dimpérialisme communisant, qui ne laisse pas plus de place à la
différence que lautre impérialisme, le libéral. Bref, donc lOccitanie
était présente (on marchait sur son sol!), mais elle faisait un peu cavalier seul sur ce
festival. Javais oublié mon drapeau de Savoie.
Dans les conférences-débats, jai retrouvé ce que je déteste habituellement
chez les communistes de la fête de lHuma, cest-à-dire des parleurs
professionnels qui napportent aucune information, et qui se contentent de lancer des
mots-clés hallucinogènes tels que "lutte", "combat",
"impérialisme", etc. Du patati-patata réchauffé, qui ne sert quà se
faire mousser et ne fait pas avancer le schmilblik dun iota. MAIS, par contre,
jai pu avec plaisir assister à quelques conférences dans lesquelles les orateurs
avaient vraiment de linfo utile à faire passer, telle que cette conférence sur les
semences que je vais tenter de vous résumer. Le problème des semences est digne de
préoccuper une grande partie de la population occidentale, et peut-être dailleurs.
Les groupes semenciers sont en train de SAPPROPRIER la liberté de produire des
semences, dans la continuité de lappropriation systématique des libertés humaines
que lon peut clairement observer au moins depuis la révolution industrielle. Les
agriculteurs, qui actuellement produisent eux-mêmes les semences dont ils ont besoin,
doivent verser une compensation pour le manque à gagner aux groupes semenciers, qui
eux-mêmes en parallèle essayent dimposer leur semence transgénique à usage
unique, cest à dire stérile! Le tout ayant donc pour but de rendre les
agriculteurs entièrement dépendants de leurs services. Pour obtenir des aides
financières par exemple, il faut obligatoirement acheter ses semences chez eux. Donc
entre une semence que lon paye moitié prix parce que subventionnée, et une semence
que lon paye 1,5 fois son prix parce que taxée pour sa liberté, on voit bien que
dans ces conditions, la première sera plus facilement choisie, et le danger quelle
représente pour lautonomie alimentaire et la biodiversité est réel. Et
jusquici je nai pas parlé des préoccupations qui animent une partie de la
population, et qui concernent la sécurité alimentaire. On est bien loin de connaître et
maîtriser les retombées de la consommation dOGM, ni de leur diffusion dans
lenvironnement naturel, pas plus que dévaluer le danger de la
sur-spécialisation génétique face à des maladies nouvelles, par exemple. Tout système
trop spécialisé est pénalisé face à limprévu, cest aussi vrai pour les
organismes vivants que pour les sociétés humaines et les individus. Que se passerait-il
si on ne cultivait quune seule variété de blé, même très productive, et
quune maladie nouvelle venait en décimer les récoltes sur un territoire très
étendu (ce qui dailleurs pourrait très bien être le scénario dune attaque
bactériologique)? On voit donc bien que ce problème des semences est le problème
central duquel découle celui de lautonomie et de la sécurité alimentaire, de la
biodiversité, de la pollution génétique. De lautre côté, ces groupes semenciers
sont liés à la finance internationale et à lOMC, celle-là même qui nadmet
aucune limite à sa propre liberté, et qui considère quun échange juste est un
échange sans contraintes, un peu comme cette idéologie qui conduit les Savoisiens à ne
plus pouvoir se loger dans le pays où ils ont grandi, sous le prétexte de la loi de
loffre et de la demande. Lidéologie "des grandes lois pour tout le
monde" conduit toujours aux mêmes conséquences, lorsquelles sont décidées
par une minorité sans le consentement de lunanimité. Bref, lagriculture
libre, cultivant des espèces locales, est toujours possible mais devient tellement chère
quelle est impraticable dans les faits. Pas de cochons sapaudiens, ni
dabeilles savoisiennes, sauf si on peut vendre les produits le double du prix
habituel (cest une boutade, le problème ne concerne pour linstant que les
semences, mais lexemple est tout de même signifiant car il peut peut-être aussi
sappliquer pour des végétaux endémiques).
Bon, et le régionalisme alors dans tout ça? Car pour faire le lien, qui dit
agriculture libre et espèces locales, dit forcément gestion locale... Bové a fait, à
la fin du concert de Manu Chao, une longue intervention que jai beaucoup
appréciée. Il a entre autre parlé de soutien aux Corses et aux Basques pour quils
puissent librement enseigner dans leurs langues si ils le souhaitent, et de la révolution
intérieure quil faut opérer si lon veut aller vers un monde plus sain, en
acceptant notamment de changer nos modes de consommation. Malheureusement je nai
entendu parler ni de la Savoie, ni de mes amis bretons. Jaurai voulu savoir, chers
amis de la Confédération paysanne, si il sagit là dun oubli dun
discours à moitié improvisé, ou si il ne sagissait que dune décoration
démagogique masquant des intérêts politiques plus pervers et carrément cachés.
Jen reste donc là pour ce Larzac 2003, séduit mais sur mes gardes, dans
lattente den voir plus. Quelle direction prendra donc ce mouvement,
deviendra-t-il vraiment un chaudron où la créativité et la diversité seront les
moteurs, ou deviendra t-il un mouvement sclérosé par le dogmatisme au service
dintérêts individuels? Jattends, on verra bien.
E.V.
Notes de la rédaction:
1 Pour approfondir la réflexion sur le "bovisme", on lira utilement
l'article du chercheur Zaki Laïdi paru dans "Libération" le 2 septembre 2003
sous le titre "Déconstruire José Bové". L'auteur désapprouve
catégoriquement le combat de "l'extrême gauche des champs" contre l'OMC
(Organisation Mondiale du Commerce): "Celle qui veut relancer l'offensive contre la
"mondialisation libérale" en recourant à la stratégie classique de la gauche
radicale: une critique systématique du capitalisme mondialisé, mais une difficulté
réelle à avancer des propositions constructives. Tout détruire pour ne rien assumer:
voilà le fil rouge qui relie l'extrême gauche des villes à celle des champs".
Z. Laïdi considère comme une sottise de vouloir "combattre l'OMC", une
organisation au sein de laquelle les pays en voie de développement (les pays pauvres)
sont majoritaires. Il préconise au contraire de donner à l'OMC davantage de moyens pour
réguler le commerce mondial en fonction d'expertises scientifiques et de valeurs humaines
universelles, afin de "dégager une voie moyenne (réformiste) entre une
libéralisation débridée et un protectionnisme magnifié"...
2 Sur le plan de la politique politicienne, le rassemblement du Larzac est un cas
d'école pour les étudiants de science politique. José Bové était en prison, et ne
devait en sortir que vers Noël, compte tenu de la grâce présidentielle prononcée le 14
juillet. Mais voilà qu'un juge le libère, sans opposition du procureur, lequel est
officiellement soumis aux directives du ministre de la Justice. Sa peine de prison est
remplacée par une tâche d'intérêt général, compte tenu de sa bonne conduite.
Pourquoi pas? Mais au lieu de l'envoyer servir ses concitoyens dans quelque association
caritative ou d'entretien de l'environnement (n'est-il pas agriculteur de profession?) le
juge lui impose d'organiser un rassemblement politique au Larzac. "Faites
l'agitateur, le contestataire, le révolutionnaire, c'est la Justice qui vous l'ordonne,
et si vous ne le faites pas, nous vous remettons en prison!", tel est en substance le
message reçu par José Bové, qui ne se l'est pas fait dire deux fois.
Autour de la Confédération paysanne et des altermondialistes, l'ultra-gauche se
rassemble et sa popularité monte en flèche: c'est la tendance à la mode, et l'ambiance
musicale est garantie, malgré l'absence regrettée du rock de "Noir Désir",
dont l'un des musiciens est retenu par d'autres engagements à Vilnius (Lituanie)...
Voilà qui inquiète considérablement le Parti Socialiste, dont les timides
représentations ont été violemment prises à partie et expulsées manu militari, au
Larzac en août comme à Annemasse au moment du G8 début juin. L'UMP joue Bové contre la
Gauche, exactement de la même manière que le PS jouait Le Pen contre la Droite jusqu'à
ce que cette machine lui explose à la figure, au printemps 2002, en éliminant le
candidat Jospin.
La roue tourne, mais à ce moulin c'est la démocratie qui est broyée...