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Larzac 2003: Bové superstar. Et après?
par Éric Verney.
Larzac 2003, je dois bien l’avouer, j’y suis allé pour les concerts, en particulier celui de Manu Chao que je n’avais pas pu voir à la fête de l’Huma à Paris, tellement il y avait de monde massé devant la scène. C’est donc avec un œil béotien que j’ai observé ce festival organisé par la Confédération paysanne, et c’est à travers mon filtre que je vous en livre mes impressions.
Pour ce qui est de l’aspect extérieur, le site était proprement énorme. Je n’avais jamais rien vu de tel, et pourtant je suis un habitué des festivals. La première chose qui m’a frappé et séduit c’est que le festival était bilingue, occitan/français. Les affichages et les annonces étaient pratiqués dans les deux langues. Un beau pied de nez au rouleau compresseur linguistique français. Partout des drapeaux occitans, un drapeau basque qui traînait, pas un drapeau français! Beaucoup de drapeaux palestiniens aussi, car visiblement la confédération paysanne et ses alliés ne dissocient pas le soutien à la Palestine de leur lutte contre les OGM et l’OMC (?). Un curieux mélange de régionalisme et d’internationalisme, mais qui n’est peut-être que conjoncturel, dû au rapprochement de groupes comme Attac et la Confédération paysanne. Cette entente est-elle faite pour durer? Défendre les intérêts des peuples face à l’impérialisme, certes j’adhère, mais je me méfie toujours du discours des gens d’extrême gauche, chez qui on retrouve au final une sorte d’impérialisme communisant, qui ne laisse pas plus de place à la différence que l’autre impérialisme, le libéral. Bref, donc l’Occitanie était présente (on marchait sur son sol!), mais elle faisait un peu cavalier seul sur ce festival. J’avais oublié mon drapeau de Savoie.
Dans les conférences-débats, j’ai retrouvé ce que je déteste habituellement chez les communistes de la fête de l’Huma, c’est-à-dire des parleurs professionnels qui n’apportent aucune information, et qui se contentent de lancer des mots-clés hallucinogènes tels que "lutte", "combat", "impérialisme", etc. Du patati-patata réchauffé, qui ne sert qu’à se faire mousser et ne fait pas avancer le schmilblik d’un iota. MAIS, par contre, j’ai pu avec plaisir assister à quelques conférences dans lesquelles les orateurs avaient vraiment de l’info utile à faire passer, telle que cette conférence sur les semences que je vais tenter de vous résumer. Le problème des semences est digne de préoccuper une grande partie de la population occidentale, et peut-être d’ailleurs. Les groupes semenciers sont en train de S’APPROPRIER la liberté de produire des semences, dans la continuité de l’appropriation systématique des libertés humaines que l’on peut clairement observer au moins depuis la révolution industrielle. Les agriculteurs, qui actuellement produisent eux-mêmes les semences dont ils ont besoin, doivent verser une compensation pour le manque à gagner aux groupes semenciers, qui eux-mêmes en parallèle essayent d’imposer leur semence transgénique à usage unique, c’est à dire stérile! Le tout ayant donc pour but de rendre les agriculteurs entièrement dépendants de leurs services. Pour obtenir des aides financières par exemple, il faut obligatoirement acheter ses semences chez eux. Donc entre une semence que l’on paye moitié prix parce que subventionnée, et une semence que l’on paye 1,5 fois son prix parce que taxée pour sa liberté, on voit bien que dans ces conditions, la première sera plus facilement choisie, et le danger qu’elle représente pour l’autonomie alimentaire et la biodiversité est réel. Et jusqu’ici je n’ai pas parlé des préoccupations qui animent une partie de la population, et qui concernent la sécurité alimentaire. On est bien loin de connaître et maîtriser les retombées de la consommation d’OGM, ni de leur diffusion dans l’environnement naturel, pas plus que d’évaluer le danger de la sur-spécialisation génétique face à des maladies nouvelles, par exemple. Tout système trop spécialisé est pénalisé face à l’imprévu, c’est aussi vrai pour les organismes vivants que pour les sociétés humaines et les individus. Que se passerait-il si on ne cultivait qu’une seule variété de blé, même très productive, et qu’une maladie nouvelle venait en décimer les récoltes sur un territoire très étendu (ce qui d’ailleurs pourrait très bien être le scénario d’une attaque bactériologique)? On voit donc bien que ce problème des semences est le problème central duquel découle celui de l’autonomie et de la sécurité alimentaire, de la biodiversité, de la pollution génétique. De l’autre côté, ces groupes semenciers sont liés à la finance internationale et à l’OMC, celle-là même qui n’admet aucune limite à sa propre liberté, et qui considère qu’un échange juste est un échange sans contraintes, un peu comme cette idéologie qui conduit les Savoisiens à ne plus pouvoir se loger dans le pays où ils ont grandi, sous le prétexte de la loi de l’offre et de la demande. L’idéologie "des grandes lois pour tout le monde" conduit toujours aux mêmes conséquences, lorsqu’elles sont décidées par une minorité sans le consentement de l’unanimité. Bref, l’agriculture libre, cultivant des espèces locales, est toujours possible mais devient tellement chère qu’elle est impraticable dans les faits. Pas de cochons sapaudiens, ni d’abeilles savoisiennes, sauf si on peut vendre les produits le double du prix habituel (c’est une boutade, le problème ne concerne pour l’instant que les semences, mais l’exemple est tout de même signifiant car il peut peut-être aussi s’appliquer pour des végétaux endémiques).
Bon, et le régionalisme alors dans tout ça? Car pour faire le lien, qui dit agriculture libre et espèces locales, dit forcément gestion locale... Bové a fait, à la fin du concert de Manu Chao, une longue intervention que j’ai beaucoup appréciée. Il a entre autre parlé de soutien aux Corses et aux Basques pour qu’ils puissent librement enseigner dans leurs langues si ils le souhaitent, et de la révolution intérieure qu’il faut opérer si l’on veut aller vers un monde plus sain, en acceptant notamment de changer nos modes de consommation. Malheureusement je n’ai entendu parler ni de la Savoie, ni de mes amis bretons. J’aurai voulu savoir, chers amis de la Confédération paysanne, si il s’agit là d’un oubli d’un discours à moitié improvisé, ou si il ne s’agissait que d’une décoration démagogique masquant des intérêts politiques plus pervers et carrément cachés.
J’en reste donc là pour ce Larzac 2003, séduit mais sur mes gardes, dans l’attente d’en voir plus. Quelle direction prendra donc ce mouvement, deviendra-t-il vraiment un chaudron où la créativité et la diversité seront les moteurs, ou deviendra t-il un mouvement sclérosé par le dogmatisme au service d’intérêts individuels? J’attends, on verra bien.
E.V.
 
Notes de la rédaction:
1— Pour approfondir la réflexion sur le "bovisme", on lira utilement l'article du chercheur Zaki Laïdi paru dans "Libération" le 2 septembre 2003 sous le titre "Déconstruire José Bové". L'auteur désapprouve catégoriquement le combat de "l'extrême gauche des champs" contre l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce): "Celle qui veut relancer l'offensive contre la "mondialisation libérale" en recourant à la stratégie classique de la gauche radicale: une critique systématique du capitalisme mondialisé, mais une difficulté réelle à avancer des propositions constructives. Tout détruire pour ne rien assumer: voilà le fil rouge qui relie l'extrême gauche des villes à celle des champs".
Z. Laïdi considère comme une sottise de vouloir "combattre l'OMC", une organisation au sein de laquelle les pays en voie de développement (les pays pauvres) sont majoritaires. Il préconise au contraire de donner à l'OMC davantage de moyens pour réguler le commerce mondial en fonction d'expertises scientifiques et de valeurs humaines universelles, afin de "dégager une voie moyenne (réformiste) entre une libéralisation débridée et un protectionnisme magnifié"...
2— Sur le plan de la politique politicienne, le rassemblement du Larzac est un cas d'école pour les étudiants de science politique. José Bové était en prison, et ne devait en sortir que vers Noël, compte tenu de la grâce présidentielle prononcée le 14 juillet. Mais voilà qu'un juge le libère, sans opposition du procureur, lequel est officiellement soumis aux directives du ministre de la Justice. Sa peine de prison est remplacée par une tâche d'intérêt général, compte tenu de sa bonne conduite. Pourquoi pas? Mais au lieu de l'envoyer servir ses concitoyens dans quelque association caritative ou d'entretien de l'environnement (n'est-il pas agriculteur de profession?) le juge lui impose d'organiser un rassemblement politique au Larzac. "Faites l'agitateur, le contestataire, le révolutionnaire, c'est la Justice qui vous l'ordonne, et si vous ne le faites pas, nous vous remettons en prison!", tel est en substance le message reçu par José Bové, qui ne se l'est pas fait dire deux fois.
Autour de la Confédération paysanne et des altermondialistes, l'ultra-gauche se rassemble et sa popularité monte en flèche: c'est la tendance à la mode, et l'ambiance musicale est garantie, malgré l'absence regrettée du rock de "Noir Désir", dont l'un des musiciens est retenu par d'autres engagements à Vilnius (Lituanie)...
Voilà qui inquiète considérablement le Parti Socialiste, dont les timides représentations ont été violemment prises à partie et expulsées manu militari, au Larzac en août comme à Annemasse au moment du G8 début juin. L'UMP joue Bové contre la Gauche, exactement de la même manière que le PS jouait Le Pen contre la Droite jusqu'à ce que cette machine lui explose à la figure, au printemps 2002, en éliminant le candidat Jospin.
La roue tourne, mais à ce moulin c'est la démocratie qui est broyée...