- 1 La parution attendue d'un dictionnaire de la langue savoyarde.
- Notre congrès nous a permis d'aborder sans faux-semblant la question de l'enseignement
du savoyard, encore embryonnaire chez nous, avec Alain Favre, impliqué au premier rang
sur cette question. Ce débat faisait écho au colloque organisé par le ministère de la
culture le 4 octobre 2003.
- Un néant assourdissant du côté du gouvernement.
- Dans l'appareil d'État, on ne connaît que la langue de bois. Le ministre de la
Culture, Jean-Jacques Aillagon (celui de l'Éducation n'avait même pas pris la peine de
se déplacer
) fit l'aveu qu'aucune révision de l'article 2 de la Constitution, ni
la ratification par la France de la Charte européenne des langues minorisées, n'étaient
prévues. Le ministre chargé de la Décentralisation et des libertés locales (sic, son
titre, ça doit être de l'humour
), Patrick Devedjian, précisait même quil
ny aurait pas de statut des langues de France et encore moins de énième projet de
loi. Les participants habituels à ce genre de réunion ne pouvaient espérer de grands
changements lors de ces assises. Ils espéraient cependant un minimum de propositions de
la part de la "Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de
France" (DGLFLF); ce fut le minimum du minimum, c'est-à-dire rien. Cette "gifle
politique" pour les défenseurs des langues régionales est d'autant plus forte,
après celle infligée aux écoles Diwan, que les décideurs ont fait comme
dhabitude ce qu'il faut pour endormir les gens naïfs: ils ont largement argumenté
sur la nécessaire sauvegarde des langues régionales, en reprenant le joli refrain bien
lénifiant: "patrimoine inestimable de l'humanité tout entière". Or comme le
soulignait un responsable du Partit occitan, Gérard Tautil: "On ne peut dun
côté prétendre à luniversalité des droits et dun autre côté faillir par
sa pratique et refuser toute évolution institutionnelle." Mais comme toujours,
l'État a renvoyé la balle vers "l'initiative des régions et autres collectivités
locales" qui en général, malgré une forte sensibilisation, n'ont pas voulu
réellement prendre en compte une telle démarche de défense et de promotion des langues
régionales. C'est maintenant très simple: pour tout projet de financement, l'État
renvoie à "l'initiative régionale", n'ignorant pas les différences
politiques, les engagements "prioritaires" de chaque Conseil régional, les
égoïsmes localistes hérités du centralisme. Comme on est partout à l'heure des
restrictions budgétaires, l'État, dans sa version centrale ou déconcentrée, joue à
tout va la division et, finalement, il n'y a plus le moindre euro pour ce dossier. La
question linguistique demeure en France l'enjeu de prises de pouvoir politique qui
bloquent toute avancée, au nom de l'intérêt général. Comme le souligne Tautil,
"Ces assises auront eu le mérite de montrer que les blocages centralistes restent
entiers. Bien naïfs sont ceux qui pourraient encore simaginer que la question des
langues de France se règlera in fine par une pseudo concertation de ce type."
- Jean-Jacques Aillagon, lorsque jai pu le rencontrer à Lorient en août 2002,
ma tout de suite donné limpression de n'être, ni plus ni moins, que le
simple ministre des monuments historiques, et que pas un sou ne serait accordé aux
cultures vivantes. La situation actuelle na fait que confirmer mes impressions: ses
budgets en baisse, son conflit avec les intermittents. Dès lors inutile
dépiloguer.
- Comme partout ailleurs, sans parti autonomiste fort, aucune évolution n'est
envisageable. Les militants culturels qui uvrent pour une reconnaissance
institutionnelle et démocratique des langues et cultures minorisées doivent désormais
comprendre qu'une autre mobilisation, plus dérangeante, plus visible, en un mot plus
politique, politiquement savoisienne pour ce qui nous concerne, doit impérativement se
mettre en place pour éviter de subir de nouvelles humiliations.
2 Les résultats d'une
démarche savoisienne.
- Il manquait un instrument fiable pour permettre une nouvelle transmission de la langue
savoyarde. Nous l'aurons dans quelques jours: le Dictionnaire francoprovençal/français
et français/francoprovençal, de Dominique Stich, est sur le point de paraître. Alain
Favre, qui a participé à l'élaboration de cet ouvrage ainsi que Xavier Gouvert, est
venu le présenter à la tribune du Huitième Congrès de la Ligue savoisienne.
- Il s'agit d'un ouvrage scientifique mais aussi de vaste vulgarisation, instrument idéal
pour tous ceux qui veulent découvrir cette langue dune façon simple et agréable
grâce à sa graphie adaptée. Le francoprovençal de Savoie y aura toute sa place. Mais
les ouvertures sont nombreuses vers les autres provinces de l"Arpitanie",
Val dAoste, Valais mais aussi Piémont, Dauphiné, Lyonnais, Bresse...
- Avec ce dictionnaire, le docteur Stich perfectionne sa graphie supra-dialectale et
moderne. C'est un progrès décisif, que nous avons toujours soutenu ici, à L'Écho de
Savoie, car il accomplit pour notre langue régionale l'unification qui fut réalisée
ailleurs à différentes époques dans d'autres langues romanes: catalan dans les années
1930, occitan (grâce à lIEO, Institut d'Études Occitanes) dans les années 1970,
rhéto-romanche des Grisons dans les années 1980-1990...
- Il est évident que tous les parlers ont leurs lettres de noblesse, quil est tout
à fait légitime de défendre. Mais il faut que lorthographe employée soit
identique, même si la prononciation est légèrement différente. Le vrai problème se
situe et se situera toujours au niveau de leur reconnaissance. Ce quil faut bien
comprendre, cest que là où le francoprovençal sera reconnu, sa diversité le sera
aussi. Le tout est daboutir à sa reconnaissance par le Ministère de l'Éducation
Nationale. Cest le cas par exemple pour loccitan en général: les textes
officiels parlent de lauvergnat, du gascon, du languedocien, du limousin, du
nissart, du provençal, du vivaro-alpin. La graphie du Docteur Stich permet tout à fait
de respecter la diversité de la langue tout en soulignant une certaine unité, chose que
fait par exemple un romancier valdôtain comme Florent Corradin (un de ses romans a reçu
un prix littéraire en Italie).
- Pour loccitan, les textes conseillent dadopter des attitudes ouvertes parce
que de toute façon cela amènera les élèves à une pratique parlée et écrite de la
langue sans sa diversité locale. Reinat Toscano, professeur de langue dOc, docteur
en Études occitanes de lUniversité de Nice, médaillé des traditions niçoises et
écrivain, l'explique: "lexploration de la littérature offrira à
lenseignant de nombreuses occasions d'introduire dans son enseignement des
éléments d'information sur les autres systèmes d'orthographe, passés et actuels. Les
uvres et les documents seront en effet présentés et étudiés en respectant
strictement la graphie d'origine." Il devra en aller de même pour le
francoprovençal.
- Ce qu'il faut absolument éviter, pour défendre efficacement le savoyard en particulier
et le francoprovençal en général, cest le sectarisme qui conduirait à une
balkanisation stérile. Il apparaît de plus en plus clairement que ceux qui veulent
garder des patois de village ne veulent pas pérenniser notre langue mais se résignent à
la voir s'éteindre dans une version purement folklorique. Nos gouvernants hostiles aux
langues régionales ont tout à gagner à un morcellement extrême du francoprovençal
pour laffaiblir plus encore. Cest bien ce quont compris les auteurs de
ce dictionnaire en proposant ce travail cohérent, unitaire, pédagogique et littéraire,
totalement en phase avec un humanisme moderne.
3 Une intense activité sur
le terrain.
- Parallèlement à ce travail de fond, Alain Favre soulignait que les militants de la
langue ont considérablement évolué et participent activement aux réunions avec les
représentants des autres langues minorisées; ils ont organisé en octobre lan
dernier (à Sevrier près d'Annecy) le congrès de la FLAREP (Fédération pour les
Langues Régionales dans l'Enseignement Public). Ils ont également modernisé leurs
pièces de théâtre, dont le succès ne cesse de grandir, organisé un second festival de
musique alpine, la fête du francoprovençal à Cruseilles (voir L'Écho de Savoie n°
67), et des colloques de qualité. Dans les écoles, l'enseignement du savoyard s'exprime
chaque année par le biais du concours Constantin et Désormaux auquel participent environ
500 élèves. Le thème en sera cette année: "Les fêtes calendaires: le
changement" (renseignements: Association des Enseignants de Savoyard
/Francoprovençal -Doucy - 74 420 Habère-Poche tél: 04/50/39/56/72 e-mail :
a.e.savoyard@wanadoo.fr).
- Et puis au moment où je m'apprêtais à écrire un article intitulé "Du savoyard
dans ma télé", j'apprends que la TV8 Mont-Blanc diffuse enfin une émission de 6
minutes chaque semaine en savoyard. Bref, un investissement et un dynamisme jamais vus
jusqu'à présent. Est-ce le chant du cygne, l'été indien du francoprovençal, ou au
contraire son renouveau, son printemps, va-t-il "rbioler"?
- Nous pouvons conclure qu'il en va du francoprovençal comme de l'occitan, et en
paraphrasant Reinat Toscano: "ici on peut vraiment parler de tolérance et
d'ouverture d'esprit car défendre le francoprovençal, ce n'est pas s'enfermer dans un
particularisme mais au contraire s'ouvrir aux autres: le francoprovençal est l'outil
idéal pour s'ouvrir aux langues et cultures voisines, ne le laissons pas en pâture à je
ne sais quels sombres et lamentables intérêts localistes." (1)
- Pascal Garnier.
- (1) Lo Bulletin del Sindicat Occitan de l'Educacion, n°112 de novembre 2003. Reinat
Toscano. Letra dubètrta à-n-aquelu qu'aimon vertadierament la noastra belà lenga d'oc.
p. 10-11
- Sul web : www.occitanie.com/soe/
-
- Pour réserver le dictionnaire francoprovençal de Dominique Stich à un tarif
préférentiel (avant parution prévue pour le 18 décembre 2003), contacter par courriel
Alain Favre <afavre1@hotmail.com> ou téléphoner au 0450 94 02 08.
4 Henriette Walter:
"Dominique Stich donne tout pour cette langue savoyarde qui correspond à une
eurorégion magnifique".
- Depuis toujours, elle défend la diversité linguistique. Cette personnalité
respectée, attachante et passionnée du monde universitaire a été la directrice de
thèse de Dominique Stich. Elle a été professeur de linguistique à l'Université de
Haute-Bretagne, dirige actuellement le laboratoire de phonologie à l'École Pratique des
Hautes Études et présentait cet été chaque matin sur France-Inter une chronique sur
l'histoire des mots. Elle a préfacé le dictionnaire qui va sortir.
-
- Résumez-nous en quelques mots le travail de D. Stich.
- Dominique Stich propose son écriture supradialectale plus que jamais
d'actualité, permettant d'écrire et de faire connaître à ceux qui ne la connaissent
pas cette littérature francoprovençale qui est très riche. C'est à l'ordre du jour
puisque cela va dans le sens de la reconnaissance des langues régionales.
-
- En Savoie les gens insistaient souvent sur leur patois de pays mais ce que l'on a pu
constater à de multiples reprises, c'est qu'entre différentes régions de Savoie et
même au-delà avec le Val d'Aoste et certaines régions du Valais, l'intercompréhension
était dans l'ensemble bonne. Pour moi le mérite essentiel de D. Stich est de permettre
de transmettre cette langue maintenant
- Le seul problème qu'a eu au départ D. Stich, c'était qu'il n'habitait pas en
Savoie pour participer à ces querelles de clocher, mais aujourd'hui il arrive de mieux en
mieux à se faire entendre. Il a démontré qu'il était sérieux, qu'il a apporté
quelque chose, ses références, qu'il était d'une honnêteté exemplaire, qu'il donne
tout en fait. Et puis des gens de qualité comme Alain Favre ou Xavier Gouvert l'ont
rejoint dans son travail.
-
- Mais à coté de chez nous le rhéto-romanche est reconnu aujourd'hui par la
constitution suisse, l'unification a été faite par un zurichois: le professeur H.
Schmitt, en venant de l'extérieur, a mis tout le monde d'accord
- Mais je crois justement que D. Stich sera l'étranger qui vient donner et qui n'a
pas d'intérêts ni pour les uns, ni pour les autres, et qui met toutes les chances de son
côté pour que sa méthode s'impose, en plus dans un contexte favorable, avec une
ratification de la Charte qui ne va certes pas se faire avec ce gouvernement, mais qui se
fera plus tard. Et puis à l'heure de l'Europe des Régions, c'est magnifique, cette
chance d'avoir une langue transfrontalière. Oui au centre de l'Europe, avec la Savoie,
l'Italie et la Suisse, ça fait une eurorégion formidable et magnifique, que les gens ne
connaissent pas encore malheureusement! C'est vrai que c'est une langue qui n'a pas eu de
chance avec son nom, mais ça sera du valdôtain au Val d'Aoste et du savoyard ou
savoisien en Savoie. La dynamique existe essentiellement en Savoie qui a une espèce
d'auréole, mais n'oublions tout de même pas les autres!
- (Propos recueillis par Pascal Garnier au salon du livre du Festival Interceltique de
Lorient le vendredi 10 août 2001.)
- Pour découvrir l'uvre immense de Henriette Walter: "L'aventure des langues
en occident: leur origine, leur histoire, leur géographie" Robert Laffont. 1994.
498p. (149F)
- 5 Point de vente :
- Actuellement, le dictionnaire est en
vente au prix promotionnel de 48 euros auprès de la
- Ligue savoisienne 2, avenue
de la Mavéria 74940 ANNECY-LE-VIEUX tél : 00 33 (0)4 50 09 87 13