Il faut toujours recevoir avec circonspection les tombereaux d'images et de paroles que
nous livrent quotidiennement les médias hexagonaux. Ainsi cette canicule 2003 n'est-elle
devenue un sujet médiatique qu'à partir du moment où elle s'est abattue sur Paris,
alors qu'en Savoie et dans toute la moitié sud de la France on transpirait à grosses
gouttes depuis le premier juin!
La région parisienne a connu une mortalité effrayante, des entrepôts et camions
frigorifiques ont dû être réquisitionnés en catastrophe pour y entreposer des milliers
de cadavres, les familles des défunts restant absentes, indifférentes ou inconnues.
Cette situation a révélé la double maladie de la société française,
particulièrement aiguë dans la mégalopole "francilienne": égoïsme et
centralisation. Le médecin et écrivain Martin Winckler livrait son analyse dans le
"Figaro Magazine" du 23 août: "La France souffre à la fois de son
hypercentralisation et de son hyperindividualisation, liées à l'absence de sens civique.
Pourquoi? Parce que, de tous les pays d'Europe, c'est le plus féodal, dans le sens
hiérarchique et psychologique du terme, dans les structures, les mentalités, les
comportements".
En France, lorsqu'un imprévu survient, on a le réflexe d'attendre les ordres de
l'État. Et quand le ministère concerné est en service minimum à cause des congés du
mois d'août, les ordres tardent à venir: tant pis si les gens meurent...
Martin Winckler enfonce le clou: "Plus une zone est réduite en taille et
autosuffisante, plus elle peut résoudre ses propres problèmes, qu'ils soient sociaux ou
sanitaires. C'est ce qui se passe dans les États à structure fédérale".
En effet, l'Allemagne et la Suisse, plus touchées encore que la France par des
températures excessivement élevées, n'ont pas connu de surmortalité. Dans le canton de
Vaud, les soins aux personnes âgées ont démontré leur excellence. L'Italie du nord
s'en est moins bien tirée: les services publics y sont de mauvaise qualité, à cause de
l'incurie d'une bureaucratie encore très centralisée.
En Savoie, au moment du pic de chaleur début août, les PFG (Pompes Funèbres
Générales) constataient un surcroît d'activité de 5 à 10% par rapport à la moyenne.
Mais au bout du compte, le nombre des décès survenus pendant l'été pourrait bien être
inférieur à celui de l'an passé. Malgré la désorganisation estivale de nos hôpitaux,
de plus en plus scandaleuse année après année, les personnes âgées ont été
correctement prises en charge et aidées à surmonter l'épreuve. Il subsiste probablement
en Savoie un peu de cette bienveillance familiale et humaine qui manque si cruellement à
Paris.