Les Thermes de St Gervais

Les thermes de St Gervais, célèbres dans le monde entier, ne datent pourtant que de 1806.

D’après la légende, c’est un ouvrier des mines de Servoz, nommé Pierre Kirchner, qui, en pêchant la truite, se rendit compte le premier de l’intérêt qu’il y aurait à exploiter la source d’eau chaude aux vapeurs soufrées qu’il venait de découvrir.

Chimistes et physiciens de Genève, avertis par le Préfet du département du Léman, analysèrent l’eau, en communiquèrent la nature, les propriétés, le débit, la température, et les thermes furent construits.

La découverte d’une source et la construction des thermes devient alors un événement pour les malades, d’autant plus que les sociétés médicales de Lyon, Paris, Genève, affirment "l'efficacité incontestable et la grande valeur des eaux de Saint-Gervais".

Les conseils pratiques se répandent:

"Pour se rendre à Saint-Gervais pour prendre les eaux, il faut emprunter la route qui vient d’Ugine, allant aux Houches, traverser les deux Saint-Gervais (Le Fayet et le village même de Saint-Gervais), et l’on débouche alors sur une véritable splendeur: d'un côté la vallée de Sallanches et Sixt, de l’autre côté la chaîne du Mont-Blanc qui jaillit d’une coupe de lumière où tous les azurs du paradis sont mêlés. Au fond de la coupe, un torrent large comme un fleuve fait rage, s’irrite, écume et saute et... déborde. C’est l'Arve."

Voilà comment s’exprime Marie-Louise Pailleron, une curiste parisienne, lorsqu’elle décrit le paysage de Saint-Gervais et des alentours. À cette époque, en 1865, la vie de Saint-Gervais était concentrée autour de l’établissement thermal. Aucune animation, le site assez sévère par lui-même recevait peu de soleil, puisque situé dans une gorge et entouré de sapins. Appuyé au fond de cette gorge, le vieil établissement d’autrefois occupait toute la largeur du vallon. Le bâtiment principal était couronné d’un clocher et flanqué de chaque côté de deux tours. Derrière l’établissement, une cascade, plutôt un torrent, ronflant avec un bruit infernal, le Bon Nant. Cet adjectif "bon", en vieux français, décrit la force et la vaillance que rien ne saurait dompter. La suite de l'histoire le confirmera.

Les curistes ne tarissent pas d’éloges pour décrire cette maison de santé, les promenades, l’air vivifiant de la haute montagne, l’odeur des sapins, et la vie en société, calme, enrichissante, faite de tolérance, de simplicité et sans cependant exclure une douce intimité. Les curistes se succèdent, les curieux aussi, les premiers touristes. Il est vrai que Saint-Gervais se trouve très près de "Chamouny". Le bouche à oreille fait le reste, les résultats obtenus aux thermes, les eaux ont très bonne réputation: "elles sont merveilleuses pour les maladies de peaux, les gastralgies, les constipations habituelles et opiniâtres qui spécialement à Paris (et c’est toujours Madame Marie-Louise Pailleron qui s’exprime ici) font le désespoir d’un si grand nombre de femmes".

Il est aussi chuchoté que les eaux de Saint-Gervais se montreraient souveraines pour expulser en quelques jours le ver solitaire. Trois sources sont exploitées à Saint-Gervais, d’après "le guide pratique du médecin et du malade" de l’époque. La quatrième est à ciel ouvert, au pied même de la cascade derrière l’établissement, au pied du glacier du Bonhomme.

Une nuit, celle du 11 au 12 juillet 1892, vers deux heures du matin, de terribles détonations réveillèrent les curistes, elles semblaient venir de la montagne. Avant même qu'une alarme soit donnée, une formidable trombe d’eau sale, de boue, de troncs d’arbres arrachés, de rochers et de morceaux du glacier balaya tout sur son passage, détruisant complètement l’établissement, entraînant les gens dans leurs lits, les meubles, les amas de poutres, de gravats, et de cadavres.

Le cataclysme dura à peine cinq minutes, une éternité pour les personnes qui ont eu à faire face à cette catastrophe. En pleine nuit noire on imagine mal l’épouvante, les hurlements de désespoir, les efforts désespérés de certains à essayer de sauver une vie.

Plus tard, des ingénieurs certifiés et le célèbre météorologiste Vallot expliquèrent le désastre:

— une poche d’eau s’était formée sous le glacier de Tête Rousse qui domine le Fayet.

— par suite de l’effondrement d’un rocher, la poche d’eau creva, entraînant la paroi du glacier: 90 000 mètres cubes de glace et 100 000 mètres cubes d'eau dévalant la pente en une poussée furieuse emportèrent le village de Bionnay, une partie du Fayet et l’hôtellerie des Bains.

On ne saura jamais le nombre exact des victimes car les registres et dossiers disparurent dans la catastrophe, mais environ deux cents personnes moururent de la façon la plus tragique et certaines ne furent jamais retrouvées, ensevelies pour toujours sous des mètres de boue. Pendant plusieurs semaines on retrouva des corps sur les rives de l'Arve, jusqu'à Carouge. Les circonstances de la catastrophe avaient provoqué en Savoie, en France et à l’étranger la plus grande consternation et un grand élan de solidarité.

Madame Pailleron relate le fait et l’impact qu’il a eu sur la population: "À Paris la nouvelle fut accueillie avec stupeur, un glacier qui brusquement descend dans la vallée à la vitesse d’un oiseau qui vole, entraînant tous les obstacles avec lui, cela ne s’était jamais vu".

Cette catastrophe sans précédent fut considérée à l’époque  comme l’événement le plus extraordinaire dans les Alpes, et depuis cette date, afin d’éviter une nouvelle tragédie, les experts, qui n’excluent pas complètement une nouvelle formation du même ordre, font réaliser régulièrement une surveillance des glaciers et des travaux assurant le déversement du trop-plein des eaux.

Evelyne ANTHOINE    

 

Dernière mise à jour : 05/07/03