Avec Jean-Marc Jacquier, à la découverte des Alpes en musique

En ces temps troublés par des risques graves de confrontation mondiale mais aussi de troubles sociaux, on peut avoir légitimement envie de s'évader. Cette évasion, on ne la trouvera pas forcément au-delà des mers: très paradoxalement elle peut être chez nous, dans notre culture antique, misérables déracinés que nous sommes!

Si des groupes de musique traditionnelle comme I Muvrini sont véritablement plébiscités par le public (voir leur dernier triomphe aux "Victoires de la musique" pour leur album "Umani"), c'est qu'il existe, chez tout un chacun, un profond désir de ressourcement, une sorte de "Nostalgie des origines" dont parlait si bien l'historien des religions Mircéa Eliade. En Savoie, cette quête passionnée qui se transmue en culture a été faite pour nous par un homme que vous connaissez bien puisqu'il s'agit de Jean-Marc Jacquier.

Dans la cassette vidéo que nous vous présentons ici, Jean-Marc Jacquier, le grand barde savoisien, nous guide avec son bâton de pèlerin à la découverte des Alpes en musiques. Mais c’est surtout une sorte de synthèse de son travail de fédérateur du mouvement culturel, fruit d’un labeur constant de plusieurs décennies, qu’il nous fait découvrir. Initialement prévue pour être diffusée par France3, nous commercialisons maintenant cette vidéo que les téléspectateurs de la Télévision Suisse Romande et de la RAI italienne ont déjà eu le plaisir de voir.

Il s'agit là sans conteste d'un travail de qualité, puisque le réalisateur de Mieussy Gilles Perret est un véritable professionnel. Mieussy est une commune qui est en train de devenir un nouveau centre de résistance à la mondialisation libérale puisque l’écrivain John Berger y réside aussi et que Jean-Marc Jacquier y a beaucoup appris.

Une démarche cohérente: la musique traditionnelle.

C'est en effet à Mieussy qu'il a fait un énorme travail de collectage, chez Eudoxie Blanc, "la Doxie", qui tenait un bistrot au hameau de Quincy mais était aussi paysanne. Ce n'est pas moins de 120 chansons pour chanter et danser que Jean-Marc a collectées auprès d'elle dans une ambiance de "sorte d’université populaire", comme il le dit, mais d'où émanait une véritable conception du monde dont John Berger s'était inspiré pour écrire son best-seller "la Cocadrille". À cet égard les images d'archives intégrées au reportage sont très émouvantes.

Nous allons aussi à Lucinges faire la quête des œufs pour la Passion, notamment chez l'abbé Guy Zunarelli. Cette fête marque la fin du carême: à l’origine les pauvres faisaient la quête des œufs pour faire un vrai repas. Nous voyons là une certaine nostalgie de la société traditionnelle avec ses rites catholiques mais qui correspondaient aussi très bien avec les vieilles fêtes antiques de renaissance de la nature.

Puis c'est en Suisse que nous suivons Jean-Marc en compagnie de son ami le genevois Minouche, dans un magnifique village du Val d’Illier en Valais, pour écouter deux jeunes musiciens dont le talent ne demande qu'à s'affirmer.

Nous avons aussi toute une séquence en alpage sur la découverte du Cor des Alpes. Cet instrument est issu du cor primitif qu’on trouve dans tous les pays de montagne et qui servait à appeler les bêtes et à faire des signes. Christian Abriel nous explique qu'il était taillé dans un sapin en crosse de 1,20m à 1,60m, et qu'aujourd’hui le cor mesure 3,60 mètres pour que le son soit un fa dièse.

Un chien qui aboie, une tarine qui meugle, des clarines qui tintinnabulent, des sauterelles qui font grésiller l'herbe de l'alpage, le son d'un cor des Alpes qui résonne, et c'est toute la montagne enchantée qui s'embrase dans une grande polyphonie originelle. L'extase...

Le devoir de transmission.

Élément nouveau, tout au long du film l'accent est mis sur la formation. Ainsi à l'école primaire de Mieussy, Jean-Marc nous démontre ses talents de pédagogue. Indubitablement les mômes suivent bien, et en cinq minutes ils savent une chanson par cœur.

Nous entrons ensuite dans un studio où les enfants Boniface jouent avec des instruments variés, tels le violoncelle électrique ou le baghet (la cornemuse) des Alpes. Il ont composé ici la "musique traditionnelle de demain", dans le but de la faire apprécier à un public qui ne sait pas ce qu'elle est. Un seul commentaire: ils ont vraiment tout compris! Mais, nous explique leur mère, ils n'ont pu compter sur aucun conservatoire, le seul existant étant celui de la famille: un réel problème qui montre bien l'incurie des élus, au moins sur cette question culturelle.

Cette incurie fait que les musiciens eux-mêmes arrivent à dire des contrevérités sans s'en rendre compte! Nous tombons alors dans une réelle aliénation culturelle qui se traduit par un manque de confiance en soi, comme en témoignent les discours totalement incohérents tenus par les dirigeants valdôtains dans ce domaine. Cela n'a pas échappé à la perspicacité du subtil réalisateur Gilles Perret.

Ainsi, dans le film, Liliane Betolo déclare: "Je pense qu’en étant en Vallée d’Aoste, ce serait mieux de faire quelque chose en patois, parce que le francoprovençal est quand même une langue parlée par un grand pourcentage des valdôtains, c’est quelque chose de très magique, il y a des mots qui décrivent des situations liées à la vie des Alpes et que tu ne peux pas traduire; on trouve des chansons un peu grivoises pour se moquer mais pas de chanson qui raconte l’amour ou quelque chose de plus poétique."

Et aussitôt après, Sandro Boniface chante la Désarpa, cette très belle chanson en valdôtain qui exprime bien l’ambiance de la démontagnée (descente des alpages) et dont nous transcrivons les paroles ci-dessous grâce à la grande amabilité de Dominique Stich pour la graphie:

La dèsarpa (Jean Domaine)

1. L'êr de l'ôton 'l at ja soflâ sur la montagne
Por nos Arpians (1) sone la fin de la campagne.
Lo cœr content, sont ja sur pied dês l'ârba ;
Houé 'l est lo jorn de la dèsarpa.

2. Fier, bien rasâ, sur lo chapél la ploma grisa,
Patét devant lo grant-bèrgiér, sofle la bisa.
Et dèrriér lui sont prèstes ja et moges et rênes :
'ls ant lo bosquèt, sont totes vâldotênes !

3. Chante lo chet(i) come un usél (2) et pense a mama
En derriér tuét pârt lo frutiér avouéc sa cana.
Japont les chins, sôtont les véls et murs et clendres (3);
Tuét sont partis ; fôt pas fére atendre !

Refren. 'l est la dèsarpa ! Partens de la montagne !
Bien devant lo jorn nos sens tuét en tren !
Houé nos tornens, sentens pas més de lagne (4),
Partens por lo plan, 'l est fini lo chôd-temps !

(1)montagnards

(2)oiseau

(3)haies

(4)fatigue

La violente contradiction saute aux yeux: ainsi donc, dans la Désarpa, il n'y aurait pas d'esprit poétique? Comment cela? Des grands auteurs francoprovençaux comme Amélie Gex ou l'Abbé Cerlogne ne seraient pas des poètes?

Le film s'achève sur une séquence tournée dans un chalet valdôtain où se déroule une chaleureuse soirée musicale avec la Kinkerne, les Tre Martelli et les Trouvers valdôtains. "C’est ça la musique des Alpes, nous dit Jean-Marc Jacquier, des Piémontais, des Valdôtains, des Valaisans, des Savoisiens". Et il conclut: "Je commence à me rendre compte qu’il faut transmettre ça aux jeunes. C’est une musique en perpétuelle évolution, elle ne doit pas s’arrêter, ce n’est pas une musique figée, de musée. C’est pour ça que je ne me fais pas de souci. En même temps je me dis que l’évolution doit être là mais on doit garder le style alpin. C’est bien que chaque province, chaque région garde une identité même dans l’interprétation."

Nous avons ici une vraie synthèse et pour tous ceux qui ne connaissent pas, une vraie initiation, qui peut aussi être une prise de conscience de toutes les potentialités de la culture savoisienne si elle était correctement exploitée, si sa mise en valeur connaissait un plan de développement un peu rationalisé et concerté pour lui permettre de survivre et de progresser avec l’adhésion dont lui témoignent les populations.

Pascal GARNIER

Gilles Perret. Les Alpes en Musique. FR 3 Prod. Cassette vidéo de 90 minutes, 20 euros franco de port.

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Jean-Marc Jacquier 13 rue Salengro 74100  Ville La Grand.  

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Dernière mise à jour : 09/05/03