Législatives 2002
Patrice Abeille : un pari pour le parti de la Savoie.


Patrice Abeille est candidat dans la 1ère circonscription de la Haute-Savoie (Annecy nord et ouest).

On ne présente plus Patrice Abeille: né à Annecy il y a 48 ans, il fait une brillante scolarité à l'école Carnot puis au lycée Berthollet. Ses études supérieures l'ont conduit à Lyon puis à Paris à l'École Normale Supérieure. Après un séjour à Berlin comme professeur de Lettres, il s'est reconverti dans l'hôtellerie pour pouvoir vivre dans sa ville.

Pour lutter contre les maux qui dégradent de plus en plus notre vie quotidienne, il s'est engagé totalement, dès 1995, dans la Ligue savoisienne, dont il est le Secrétaire général depuis 1996.

Élu Conseiller régional en mars 1998, il accomplit son mandat en toute indépendance en siégeant comme non-inscrit et en laissant ses indemnités à la disposition de la Ligue.

Une fois de plus il va mener la bataille pour que la Savoie existe encore demain, si possible dans l'Europe des régions en construction.

Explications sur les enjeux politiques de ces élections.

Faire l'Europe pour échapper au naufrage français.

Vous êtes le leader du mouvement, nous partons aux élections législatives, pouvez-vous nous donner votre sentiment en tant que leader souverainiste sur les résultats des élections présidentielles en France en général, en Savoie ensuite?

La plupart des Savoisiens et de leurs sympathisants ont considéré que cette élection ne les concernait en rien. Pourtant, on est obligé de constater qu'en France sous le régime de la Cinquième République, c'est de très loin la plus mise en scène, la plus dramatisée, c'est l'élection-mère et encore plus cette année avec les résultats inédits du premier tour. On a assisté entre les deux tours à un déchaînement médiatique inédit: par exemple, le « Canard enchaîné » et le « Journal du dimanche » appelaient à voter pour Chirac, prenant position pour la première fois de leur histoire. On voit bien que cette élection présidentielle a changé la physionomie de la France. Mais la Savoie est encore en France, cette élection a des conséquences très importantes sur les élections législatives que nous allons aborder, et au-delà sur le contexte politique en Savoie même. Pour la Ligue savoisienne, j'ai un regret, c'est que nous ayons été totalement exclus de cet évènement et que nous n’ayons pu évidemment soutenir aucun des 16 candidats en présence. Je crois qu'il faut y réfléchir pour l'avenir et trouver une solution pour ne pas être absents pendant deux ou trois mois de la vie politique comme ceux que nous venons de vivre.

Pour ce qui concerne l'analyse des résultats, je pense que cela peut jouer en notre faveur mais je n'en suis pas sûr. C'est vrai que Chirac a fait 82 % des voix au second tour mais aux législatives, ce n'est pas la même chose: l'implantation personnelle compte davantage, et de très nombreux électeurs souhaitent voter pour des candidats nouveaux, ayant des propositions différentes et plus reliées au contexte local que les propositions françaises. C'est dans ce sens qu'il faut travailler et nous avons une carte très intéressante à jouer avec cette initiative que la Ligue vient de prendre, l'idée de lancer la candidature de la Savoie à l’adhésion à l'union européenne, au moment où celle-ci s'élargit et se prépare à intégrer 12 nouveaux États dont plusieurs sont plus petits que la Savoie (comme Chypre ou Malte). Cette proposition va au-devant des inquiétudes de la population, qui ne voit pas où les partis français nous conduisent, qu'il ait cohabitation ou pas.

On nous parle de Sixième République mais on n'en voit pas très bien les contours. Qu'il y ait victoire de la droite et on risque de revenir à la période du gouvernement Juppé qui avait mis des millions de gens dans les rues. Qu’il y ait victoire de la gauche, et on aura un nouveau déluge de lois incompréhensibles dont l’application nécessitera l’absorption de quantités croissantes de médicaments tranquillisants. Quant à la perspective lepéniste, chacun sait bien que ce n'est pas une perspective de gouvernement de la France: il s'agit d'une dénonciation des erreurs des autres et d'une protestation radicale et hyper-nationaliste. Je suis certain qu'il n'y a pas beaucoup de partisans en Savoie pour cette conception de la France de Jeanne d'Arc à Jean-Marie Le Pen.

Vers la Région Savoie…

Alors ces élections législatives: quels enjeux pour la Ligue savoisienne?

C'est la première fois depuis les Régionales de 1998 que nous avons l'occasion de nous adresser directement à l'ensemble des électeurs et des habitants de la Savoie. Nous avons participé depuis quatre ans à des élections partielles, à des cantonales qui ne concernaient que la moitié des cantons. Compte tenu de notre absence à la télévision (sauf de très rares passages à TV8 Mont-Blanc), l'envoi des circulaires électorales et la pose des affiches est encore le moyen le plus efficace pour interpeller l'ensemble de la Savoie. Nous y ajoutons une initiative européenne avec 240 000 tracts, plus toutes les réunions des candidats, c'est donc un moment intense d'échange avec la population. L'image de la Ligue s'améliore et nos arguments sont mieux reçus. Il faut aussi se préparer à 2004 et au renouvellement du Conseil régional. D'ici là, il y aura peut-être de nouveaux changements dans le mode de scrutin, et une extension de la compétence des régions: une seconde phase de régionalisation est dans l'air à droite comme à gauche. Et on peut donc s'attendre à ce que la situation de la Savoie soit très menacée, tant par un mode de scrutin qui diminuerait le nombre de conseillers régionaux en Savoie, que par une augmentation des compétences de Rhône-Alpes qui ferait de Lyon un véritable centre de pouvoir.

Après la mise en place, sous notre impulsion, de l’Assemblée (des Pays) de Savoie, il importe de rester bien présents et de faire pression pour passer rapidement à la création d’une Région Savoie.

À ce propos, que faut-il attendre de la présence d'Hervé Gaymard au gouvernement?

Rien, comme d'habitude! Nous ne recherchons pas les faveurs du pouvoir parisien, nous recherchons l'émancipation de la Savoie. Dans tous les gouvernements, il y a un ministre savoyard. Nous avons eu Louis Besson pendant 5 ans, maintenant Hervé Gaymard pendant un mois, ensuite peut-être le même ou peut-être Michel Barnier si la droite gagne les législatives. Pour ceux qui pourraient croire que Gaymard pourrait rejoindre la Ligue savoisienne sur certaines propositions, sa participation au gouvernement est la garantie qu'il servira toujours Paris en faisant semblant de servir la Savoie.

Si au contraire la gauche gagnait les élections, c'est peut-être Louis Besson qui tiendrait ce rôle-là et on verrait à nouveau Hervé Gaymard tenir des positions plus "savoisiennes"…

Les objectifs électoraux très concrètement?

Les résultats seront ce qu'ils seront; bien sûr je souhaite une progression, mais avec la prolifération des candidatures personne ne peut se hasarder au moindre pronostic.

En dehors de l’initiative pour une candidature de la Savoie à l’adhésion à l'Union Européenne, quels sont vos autres thèmes de campagne?

Le fond de la question avec cette "Savoie, cœur d'Europe", c 'est la reprise en main par les habitants de la Savoie de leur destinée. Tout ce qui va dans le sens de la démocratie locale, on est pour. Le référendum ne devrait pas être manipulé par un chef d'État ou ne devrait pas être une pratique exceptionnelle éventuellement interdite par les préfets, comme on vient de le voir dans la vallée de Chamonix et à Aiguebelle, mais une pratique tout à fait courante et habituelle dans les communes, les départements.

Tous nos candidats se prononcent sans réserves pour la création d’une Région Savoie, qui serait une première étape minimale vers la reconnaissance européenne de la Savoie. C’est pourquoi le Mouvement Région Savoie soutient nos candidatures: deux des suppléants sont membres du MRS.

Une vision savoisienne des problèmes de la Savoie.

Sur tous les sujets qui préoccupent la majorité des gens nous essayons toujours d'apporter des propositions dans un esprit savoisien.

Pour les transports nous avons analysé les dossiers, non pas du point de vue de Paris, de Rome ou de l'Europe, mais à partir du point de vue de la Savoie, ce qui se combine avec les recommandations de l'Union européenne (Livre blanc sur les transports) pour choisir, de façon non pas rhétorique mais très concrète, le report sur la voie ferrée, sans quoi, même avec le Lyon-Turin, nous aurons dans quelques années deux fois plus de camions en Maurienne et dans la vallée de Chamonix,. Nous avons formulé des propositions à court terme, à moyen terme et à long terme qui sont beaucoup plus cohérentes que ce qui est fait par Paris et Rome. Ce qui se constate aujourd'hui, je le rappelle, c'est une diminution très importante du trafic ferroviaire entre la France et l'Italie (de l'ordre de 10 %) entre 2000 et 2001, alors que Jean-Claude Gayssot n'arrêtait pas de dire qu'il faisait tout pour développer le transport ferroviaire: c'est le contraire qui a été fait. On a eu une grande opération  publicitaire autour du Lyon-Turin mais les financements n'y sont pas. S'il y a une alternance durable, comment la droite va-t-elle reprendre le dossier? Etant donné les finances de la France, il y a peu de chance pour que cette affaire soit menée à bien dans les délais prévus. J'ai eu un entretien récemment avec le sénateur italien Pedrazzini, président de la commission des transports au Sénat à Rome: il m'a affirmé que du coté italien, on n’a absolument aucune idée de la réalisation concrète du Lyon Turin.

Nous faisons des propositions pour le transit des gens du voyage, des propositions à la fois tolérantes, concrètes, claires et rigoureuses. Ni les préfets ni les ministres n’ont jamais été capables de régler le problème. Mais se renvoyer la patate chaude comme le font les élus locaux n'est pas une solution. Nous, nous proposons des solutions courageuses et nous pensons que c'est à l'Assemblée (des Pays) de Savoie de se saisir de ces propositions, de les assumer et d'en exiger l'application (85 000 tracts sur ce thème sont distribués).

Il faut prévoir les terrains pour les déplacements des Roms et le paiement des emplacements exactement comme on le ferait pour les cirques ambulants et les forains. Parmi les peuples du voyage, les délinquants restent marginaux mais dire que l'on ne peut rien faire contre eux, c'est se moquer du monde. Lorsque Jean Denais (maire de Thonon, DL) s'est senti agressé par un gitan qui conduisait une camionnette, celui-ci a été arrêté le soir même, jugé et condamné à un mois de prison ferme. Lorsque Raymond Bardet, maire de Ville-la-Grand (DVD), au cours d'une altercation, a pris un méchant coup de poing dans l'œil, son agresseur a été arrêté un mois plus tard dans le département de l'Eure et condamné à de la prison ferme. Mais il y a deux poids deux mesures: lorsque les personnalités sont victimes d'actes de malveillance, il y a une efficacité policière et judiciaire remarquable; lorsque c'est un Savoyard ordinaire, il arrive même que les plaintes ne soient pas enregistrées.

Annecy au fil de l'eau…

Quelle est la situation politique dans la circonscription d'Annecy, où vous vous présentez avec Thérèse Bouvier, la présidente du MRS?

Ici nous avons un "mini-Gaymard" avec Bernard Accoyer, député-maire d’Annecy-le-Vieux: quelqu'un qui investit l'essentiel de son énergie à faire marcher la machine du RPR à Paris. Bernard Accoyer a réussi à mettre dans tout le département une ambiance détestable, pas beaucoup d'élus de droite ne me contrediront. Il commande maintenant Bernard Bosson, le député-maire d’Annecy, qui a été ministre mais qui ne laissera pas un grand souvenir…

Le résultat de cette « guerre des chefs » n’est pas brillant. Le territoire a été urbanisé de manière anarchique, saccagé, saturé. Les embouteillages sont permanents, la pollution de l’air s’installe, le cadre de vie se dégrade inexorablement, les Annéciens ne peuvent plus se loger tandis que ceux qui viennent de l'extérieur, attirés par le site et son dynamisme, achètent des fermes rénovées ou des appartements de grand standing.

Le plan de circulation d'Annecy fait beaucoup de mécontents; c'était sans doute une nécessité mais pourquoi ne pas avoir commencé à penser il y a 20 ans à un schéma de la circulation annécienne? Ce plan vient bien tard, il est donc brutal, il rétablit la tranquillité au centre-ville et reporte les problèmes dans l'immédiate périphérie!

Il n’y a jamais eu de débat sur le développement durable de notre territoire. Ce n'est pourtant pas uniquement le patronat et la préfecture qui doivent décider ce qui est bon pour nous! Le patronat demande des logements sociaux et la préfecture conseille de construire en hauteur: détruire des maisons pour empiler des cubes de béton, on sait faire, mais quel cadre de vie préparons-nous pour les générations futures?

Tout ceci ne me semble pas très optimiste; la Ligue savoisienne propose t-elle une alternative pour la Savoie de demain (en dehors des thèmes évoqués ci-dessus) par rapport aux candidats du système?

Je pense qu'il y a une chance à saisir en votant pour nous. Ou bien on ne fait rien et on fait confiance aux partis parisiens: nous aurons un territoire de plus en plus cher où la population d'origine sera marginalisée, une sorte de parc paysager pour gens aisés, et nous aurons perdu toute dignité, toute identité. Ou bien on choisit, avec la Ligue savoisienne et le Mouvement Région Savoie, de saisir la chance de la Savoie et celle-ci reprend un rôle sur la scène européenne. Alors on retrouve la liberté de définir un modèle de développement véritablement mieux adapté, comme on le voit dans d'autres pays alpins.

Propos recueillis par Pascal Garnier le samedi 11  mai 2002

 

Dernière mise à jour : 01/06/02