Vive la Savoie libre !

Parti dans les Alpes pour faire du ski, notre journaliste Joseph Veillard s'est fait kidnapper par la ligue savoisienne. Ayant promis de témoigner en leur faveur, il a été relâché.

Désireux de quitter la grisaille parisienne et inspiré par l'équipe du Techniguide -ravie de son séjour montagnard- je décide de me rendre en Savoie pour m'adonner aux sports d'hiver. Faisant une confiance totale à mon maître et patron originaire du sud ouest, mon choix se porte naturellement sur La Plagne qu'il nous a présenté récemment comme la Pataya des alpes. Mais en fait, Santo, c'est un menteur.

Bonnet à pompon
La station bien connue pour son bonnet à pompon n'a rien d'un paradis pour échangistes. Elle regorge plutôt de familles nombreuses venues profiter des joies de la neige, malheureusement trop rare en cet hiver 2002. Renonçant à m'embarquer dans des aventures sentimentales périlleuses (je respecte trop le mariage et j'ai du mal à franchir le pas de la pédophilie), las de ne niquer que mes skis sur les caillasses à longueur de journée, je me retrouve donc condamné à boire des shooters au Cheyenne Café et me met à baigner insidieusement dans cet alcoolisme d'altitude qui fit tant de mal à notre collègue Malnuit. Mon séjours régénérant était plutôt mal parti.

Pensée unique
C'est alors qu'accoudé au bar, ingurgitant une énième vodka manzana, je rencontre l'informateur adepte du régionalisme qui avait facilité la tache de nos amis du Techni-Guide. Prenant pitié de moi, il me déclare: "Tu es journaliste dans un canard qui refuse la main-mise de la pensée unique, non? Alors plutôt que de te transformer en loque, prenant pour alibi le manque de neige, pourquoi ne vas-tu pas assister au banquet de la fête nationale. C'est un événement important et personne n'en parle jamais. Ca se passe demain à Albertville."

La fête nationale, le 19 février?  
C'est moi qui boit et c'est lui qui débloque. Et pourtant non. Il s'agit en fait de la fête nationale savoisienne, et pas savoyarde, organisée par la Ligue Savoisienne. Un mouvement souhaitant l'indépendance du pays de l'or blanc. Et puis quoi encore?

Bâtard
Mais après tout, pourquoi ne pas y aller? C'est peut-être une occasion de rigoler et, en plus, il y aura sûrement à boire dans ce banquet d'arriérés savoyards. Ah non savoisiens c'est vrai. C'est quoi ce nom bizarre? "C'est le nom original, me déclare un participant étonné de mon ignorance. En fait, c'est les français qui nous ont appelé savoyards. Cela avait une forte connotation péjorative comme connard, tocard, bâtard."

Crevards
Et soûlard, c'est péjoratif? "Tu sais, on habite un pays colonisé, poursuit-il. On en a assez et c'est pour ça qu'on a décidé de reprendre notre véritable nom." "Mais peut-être bien que sans nous, lui dis-je, vous seriez resté un pays de crevards dans vos montagnes à la con où il n'y a même pas de neige ! "

Invitation
Enfin, ne soyons pas trop arrogant avec ces braves gens. A peine apprennent-ils que je suis journaliste qu'ils m'invitent gracieusement à leur repas de fête nationale. "On en voit si peu, me disent-ils. Pourtant avec nos milliers de militants, on est le parti disposant du plus grand nombre d'adhérents en Savoie."

La croix blanche
A l'intérieur de la salle, 500 personnes sont attablées. Ca fait tout de même du monde pour un mardi midi. Des drapeaux flottent de partout. Celui à la croix blanche bien sur mais aussi ceux des six provinces de Savoie ou encore celui de l'euro. "L'arrivée de l'euro, c'est super, entend-on à droite ou à gauche. On en a enfin fini avec cette monnaie de français à la con".

En voyant à la tribune le responsable du mouvement, Patrice Abeille, des souvenirs me reviennent en mémoire. C'est ce mec qui, présenté comme d'extrême droite, avait attiré l'attention lors des régionales de 98 en accordant sa voie, qui fut décisive, au candidat socialiste lors de l'élection du président du conseil régional de Rhônes-Alpes. Ce vote avait conduit Charles Millon à prendre les voix du FN pour emporter la décision. Devenant ainsi le pestiféré de la politique française.

Populisme alpin
Surprenant une classe politico-médiatique qui l'avait vite catalogué dans les adeptes du populisme alpin, Patrice Abeille et la Ligue Savoisienne allait pourtant vite retourner dans l'anonymat, en raison de leur combat jugé anachronique. "Voyons, à l'heure de l'Europe. Quelle idée pour la Savoie de vouloir redevenir indépendante?" C'est la réponse systématique qu'entende les savoisiens quand ils parlent de leur projet.

Fervents européens
Et pourtant, il semble bien que les savoisiens soient de fervents européens. Leur goût pour l'euro n'est pas seulement révélateur de leur rejet de la France. Ils invitent d'ailleurs régulièrement des partenaires européens partisans d'une fédération regroupant tous les pays d'Europe, y compris ceux qui ne possèdent pas encore d'états comme l'Ecosse, la Bretagne, le Pays Basque ou la Catalogne. L'invité du jour est d'ailleurs un député européen catalan, régionaliste et de gauche. Comme Patrice Abeille.

Porto Allegre
Revenant de Porto Allegre, le catalan se dis "représentant de ces peuples que les impérialismes ont voulu nier" et en appelle à une "Europe ouverte au vent du monde mais ou chaque pays garde sa saveur." Les savoisiens quant à eux ont choisi cette journée pour demander officiellement leur adhésion à la CEE, décrétant qu'"à l'heure de l'Europe, nous devons faire la Savoie".

Après tout pourquoi pas, dans le climat merdique actuel, envisager une nouvelle organisation globale, alternative à la mondialisation libérale, dans laquelle chaque entité pourrait apporter son savoir et ses particularités. Mais on a quand même du mal à prendre au sérieux cette bande de rêveurs des montagnes dont l'action se résume souvent à l'organisation de banquets et où les femmes, à l'honneur ce 19 février avec leur commission féminine, se cantonnent à une "politique autrement" consistant à pousser la chansonnette.

Amicale du troisième âge
Et puis surtout, comment envisager l'avenir alors que l'ambiance de ce jour de fête nationale ressemble plus à celle d'une amicale du troisième âge qu'à celle d'une organisation préparant une révolution, fut-elle de velours comme la souhaite nos indépendantistes pacifistes. Pourtant, je fouine et parvient tout de même à rencontrer quelques jeunes.

La France verrouillée
Guillaume est l'un d'entre eux. "Moi, j'ai besoin d'un idéal et je souhaite un pays plus proche des gens où tout le monde puisse s'exprimer. En France, c'est pas possible car tout est verrouillé à Lyon ou à Paris." Convaincu de l'opportunité savoisienne, il a même réussi à convertir un de ses potes normands, étudiant à Lyon avec lui.

Légitimité historique
"Etre savoisien, c'est plus un choix qu'un héritage, nous dit le savoisien de Normandie. Personne ne m'a jamais reproché de ne pas être savoyard à la ligue. Les seuls qui se foutent de ma gueule quand je leur dis que je suis savoisien, ce sont les lyonnais que je côtoie à la fac. De toute façon, comme la France va se casser la gueule, autant qu'il y ait quelques coins qui puissent se ressaisir. Les savoisiens ont une légitimité historique et politique et permettent une alternative au jacobinisme."

Se démarquer
Encore peu nombreux, nos jeunes viennent de se regrouper dans un conseil dénommé Abad-Te, ce qui signifie bouge-toi en patois savoyard. Xavier, leur porte parole est lui aussi un immigré en provenance du Limousin, étudiant à Grenoble. Il a découvert la Savoie lors de séjours à Chamonix. "On est autonome par rapport à la ligue et on veut se démarquer de cette image de vieux".

Crétins des alpes
Déjà très politique, portant la cravate sur sa chemise jaune, le porte parole déclare qu'il ne donnera son soutien "aux candidats de la ligue que si ceux-ci sont en accord avec sa vision cosmopolite et ouverte." Même si ses idées sont en accord avec la ligne générale du mouvement, il regrette que certains adhérents contribuent à les faire passer pour des crétins des alpes ou des racistes. C'est pour cela qu'il souhaite que les jeunes prennent une place majeure au sein de la ligue, en se bougeant de plus en plus.

Rave en montagne
"Le problème, c'est que les ambiances musettes comme ici, c'est pas du tout notre truc, nous déclare Alexandre, également membre d'Abad-Te. Il faut donc qu'on organise nos propres manifestations. Tu vois, une rave dans la montagne, pour moi c'est un événement savoisien et il faut qu'on arrive à faire ça. Mais bon, même s'il ne faut pas se prendre au sérieux, il n'y a pas non plus à faire de complexe et croire qu'on est des ringards. C'est la France qui est ringarde et qui n'évolue pas depuis des siècles, se croyant la meilleure du monde. Plus que le pays des droits de l'homme, c'est le pays de la colonisation et sa politique a provoqué 40 millions de morts en Afrique."

Puissance phallique
Xavier renchérit sur le même crédo. "La France est dans la toute puissance phallique. Plus j'en ai une grosse et mieux c'est. Elle prétend être la 4ème puissance mondiale mais il y a des gens qui crèvent dans la rue. C'est les rois de l'auto-satisafaction." Au terme du banquet, je me dis qu'on a peut-être des trucs à apprendre de ces savoisiens que les médias nous avaient présenté comme des poujadistes primitifs alors qu'ils semblent plutôt accueillant vis à vis des étrangers.

Groupe d'extrême droite
"La presse nous montre tantôt comme un groupe d'extrême droite, tantôt comme des mecs folkloriques, disait Guillaume. On n'est ni l'un ni l'autre mais il faudrait que les gens apprennent de nouveau concepts, différents de la droite et de la gauche. Tout ça ne veut plus rien dire."

La neige tombe
Alors qu'est-ce que je fais, moi qui vient de constater dans Technikart que le système politique français interdit toute alternance véritable. Est-ce que je rejoint les savoisiens et m'installe en Savoie? Alors que j'étais en pleine réflexion, la neige s'est mise à tomber sur les cimes et j'ai préféré aller bouger mes fesses sur les pistes entre deux shooters. Facilité, quand tu nous tiens.

Joseph VEILLARD


 

Dernière mise à jour : 15/03/02