Bretagne : les écoles Diwan victimes de l'intégrisme républicain

Au son des cornemuses et sous des dizaines de drapeaux noir et blanc (gwen ha du), 9000 manifestants, selon les organisateurs, se sont rassemblés samedi 10 novembre à Kemper (Quimper) pour défendre l'intégration des écoles Diwan au sein du service public. Cette manifestation imposante ponctuait 25 jours d'intense agitation de la classe politique et médiatique autour d'un cas exemplaire, d'un blocage significatif du centralisme à la française.

Les intégristes de la "laïcité" face à Jack Lang.

Tout avait commencé par un recours déposé devant le Conseil d'État par le CNAL (Comité National d'Action Laïque), regroupant la frange la plus extrême des associations laïques. Dans un communiqué du 23 octobre 2001, le S.O.E. (Sindicat Occitan de l'Educacion) nous alertait:

"Le CNAL (Comité National d'Action Laïque) auquel appartiennent entre autres la FCPE et la FEN) s'était pourtant récemment déclaré favorable à l'enseignement des langues régionales au sein de l'Éducation Nationale. Mais le CNAL y est tellement favorable qu'il a déposé un recours devant le Conseil d'État pour faire annuler les décisions de Jack Lang autorisant la pédagogie par immersion et l'intégration au service public des écoles associatives français/breton Diwan. De même, le groupuscule REPERE (REsistance Pour une École RÉpublicaine), proche du CNAL, y est aussi tellement favorable qu'il considère que le statut des langues régionales à l'école ne doit pas aller au-delà de celui des langues étrangères. Le breton ou l'occitan sont donc assimilés a des langues étrangères; quel statut envisagent-il d'accorder aux citoyens d'origine bretonne, occitane ou basque (ou savoisienne, NDR)?", ironisait le SOE, qui poursuivait:

"Encore une fois, sous prétexte d'égalité, on prône l'uniformité; sous couvert de défense de la langue française, on veut mettre en place une politique d'assimilation linguistique, reléguant les langues régionales à un enseignement optionnel et limité, un enterrement en douceur, en quelque sorte."

Si l'État français depuis longtemps avait été un peu moins borné et un peu plus intelligent, il n'aurait pas craint la diversité mais aurait considéré ses langues comme une source de richesse et donc les aurait valorisées. Pour ce faire, un service public d'éducation digne de ce nom devrait permettre aux parents qui le souhaitent d'offrir à leurs enfants un enseignement dans la langue de leur région, aboutissant à un réel bilinguisme français/langue régionale.

Le S.O.E., quant à lui, "encourage le ministre de l'Éducation Nationale dans sa vision ouverte et tolérante de la laïcité". Il en aura bien besoin puisque justement le mardi 31 octobre, suite à sa saisine par le CNAL, le Conseil d'État suspendait le protocole d'accord signé le 28 mai par le ministre de l'Éducation nationale pour intégrer Diwan au service public, ainsi que les textes réglementaires qui en découlaient (1). Selon les observateurs, même s'il ne s'agit là que d'une procédure d'urgence et que le fond de l'affaire ne sera examiné que dans les mois à venir, ceci constitue un revers sérieux pour Jack Lang, qui lui, contrairement à Allègre, n'estime pas que "les langues régionales sont des langues de bergers"! Comme s'il y avait une honte quelconque à exercer cette profession... Mais le ministre a aussitôt fait savoir que sa détermination à faire aboutir le projet était intacte. "Cela ne change pas ma conviction sur le fond", a-t-il déclaré. "Et s'il y a un obstacle, on le surmontera". Souhaitons que le ministre arrive à ses fins, car il avait pourtant mis tout son poids dans le protocole d'accord. Il l'avait présenté comme la pierre angulaire de son "plan en faveur des langues régionales", se réjouissant d'avoir créé, selon ses propres termes, l'irréversible, et s'en servant également pour contribuer au déblocage du processus de Matignon sur la Corse. Rappelons que l'engagement de Jack Lang ne date pas d'hier, puisque Henri Giordan, spécialiste des minorités linguistiques, lui présenta, alors qu'il était ministre de la culture en 1982, le premier rapport sur les langues régionales en France: "Démocratie et droit à la différence" (ed. La documentation française).

Que vient faire la laïcité dans cette galère?

Arrêtons-nous un instant sur les motivations du Comité Nationale d'Action Laïque. L'intervention de ce Comité dans la question de l'enseignement des langues "régionales" est pour le moins étonnante. La laïcité, "spécificité française", est définie comme "conception politique impliquant la séparation de la société civile et de la société religieuse, l'État n'exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique" (définition du juriste René Capitant reprise dans le dictionnaire Le Robert). On a beau retourner le problème dans tous les sens, on n'apercevra pas que la langue bretonne, ni aucune autre langue "régionale", serait un instrument permettant aux Églises d'exercer un pouvoir politique. Les écoles Diwan ne sont pas des écoles confessionnelles.

Le CNAL s'est aussi référé au principe républicain d'égalité. En quoi le fait de suivre un enseignement en breton ferait-il des élèves des écoles Diwan des citoyens "inégaux"? Tous les élèves issus de ces écoles sont parfaitement bilingues (ou trilingues). Il n'y a aucun illettré parmi eux, à la différence des jeunes issus des écoles "républicaines". Ils s'adaptent parfaitement à la vie professionnelle. Il en va de même des élèves des écoles basques ou occitanes, et des écoles internationales.

L'initiative du CNAL apparaît donc pour ce qu'elle est: une tentative désespérée de brider la réactivation des langues minoritaires, une volonté de nivellement par le bas, pour que tous les petits Français soient également handicapés sur le plan linguistique.

Il est inquiétant que ceux qui défendent de tels objectifs aient encore autant d'influence en France, jusqu'à obtenir un arrêt favorable du Conseil d'État. La bête à l'agonie est méchante.

Toute la Bretagne mobilisée pour sa langue.

En Bretagne, la réaction d'un certain nombre d'élus a été très vigoureuse. Ainsi Christian Troadec, maire autonomiste de la capitale culturelle de la Bretagne, Carhaix, en haute Cornouaille, a déclaré: "Il est urgent que le pouvoir politique admette que l'avenir de la langue bretonne passe par la modification de la Constitution et notamment de son article 2 qui fait du français la langue unique de la République", amendement voté alors qu'Alain Juppé était Premier ministre. "L'exaspération en Bretagne est grande car le sentiment qui prédomine est celui d'une confiance trahie", a estimé l'Union Démocratique Bretonne (UDB), en dénonçant "l'insondable mauvaise foi du Conseil d'État." Jean-Yves Cozan, quant à lui, vice-président du conseil régional, a déclaré ne pas être étonné de cette décision: "Je crois qu'aucune solution ne pourra venir de l'Éducation nationale telle qu'elle est. Ceci démontre deux choses: premièrement, que le lobby des ringards est efficace, deuxièmement, que rien ne se fera sans un vrai pouvoir régional." (2)

Qu'on le sache bien: selon l'avocat du CNAL, Me Denis Garreau, la portée pratique de l'ordonnance est  de "bloquer le processus en Bretagne mais aussi de stopper tout autre projet qui voudrait voir le jour ailleurs en France." Avec les intégristes de la laïcité, les choses ont au moins le mérite d'être claires! Ce qui fait réagir le SOE encore avec lucidité dans son communiqué du 2 novembre:

"Après l'opposition du Conseil Constitutionnel à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, c'est désormais le Conseil d'État qui refuse la pédagogie par immersion pratiquée par les écoles Diwan. Dans les deux cas, ce sont des fonctionnaires chargés d'interpréter la loi qui vont à l'encontre de décisions prises par le pouvoir politique qui tire sa légitimité du suffrage universel. Ainsi, la haute administration, au lieu de servir le politique, le condamne à l'immobilisme.

Depuis de nombreuses années, les demandes fortes exprimées à tous les niveaux en faveur de langues régionales en véritable danger de mort sont systématiquement rejetées. Cette intransigeance de l'État face à un mouvement démocratique qui s'exprime chaque année davantage, étant donné l'urgence de la situation, est dangereuse. Le pire serait que cette panne de la démocratie conduise à une radicalisation des moyens d'action légitimant ainsi une répression accrue de l'État. Les gardiens zélés de la Loi fondamentale, garants de la cohésion nationale, devraient y songer."

D'autres en régions étaient restés prudents, tel les Occitans, les Catalans et les Basques, qui se méfient des négociations avec l'Éducation nationale et ne se mobiliseront pas pour Diwan. "Je ne vais pas défendre un protocole que je n'ai jamais voulu accepter" déclare Michel Etcheverry, président de Seaska (écoles basques). Pour lui la situation est si urgente qu'il faut une loi pour garantir la survie des écoles en langue régionales.

Jack Lang réaffirme sa volonté politique.

Jack Lang rappelle sa volonté politique en faveur des langues régionales. Exaspéré par le jacobinisme des mouvements laïques, il estime que "le droit a bon dos". Pour lui, s'il est objectivement interprété, il n' y a pas matière a annuler l'accord avec Diwan, ou alors: "Faut-il aussi arrêter le bilinguisme en Alsace et les sections internationales doivent-elle cesser?" (3). Notons aussi que la ratification de la Charte européenne, rendue impossible par le Conseil Constitutionnel suite à sa saisine par Jacques Chirac, aurait sans doute rendu beaucoup plus difficile sinon impossible cette décision.

En attendant le prochain épisode, les représentants de Diwan et le ministère de l'Éducation nationale ont esquissé des solutions qui permettraient de ne pas renoncer à l'intégration des écoles Diwan, en essayant justement de clarifier les textes suspendus par le Conseil d'État. Vendredi 10 novembre, le Ministre a fait voter par l'Assemblée nationale l'intégration des enseignants de Diwan dans l'école publique. Nous ne savons pas si Michel Bouvard a voté pour, car nous n'avons pas pu vérifier les résultats du vote.

À ce propos, Michel Bouvard, tu poses de bonnes questions à l'Assemblée nationale, mais pour agir plus positivement tu pourrais aussi nous envoyer un chèque-pétition de 10 francs libellé à l'Association "Pour que vivent nos langues". 10 francs, c'est tout de même abordable pour un député! Et en plus c'est pas dur, tu peux remplir le bulletin ci dessous. Après, ton nom figurera au milieu de ceux de tout un tas d'inconnus comme Patrice Abeille, Jean-Yves Cozan, Roger Gicquel, Louis le Pensec, Noèl Mamère, Patrick Poivre d'Arvor ou Alan Stivell... Allez, chiche?

Savetro LATTAZ

(1) Libération, mercredi 31 octobre 2001. Emmanuel Davidenkoff. "La langue de l'école laïque: le français, pas le breton". retour ->

(2) Le Télégramme, jeudi 01 novembre 2001. Marie-Laure Philippeau. "Écoles Diwan : avalanche de réactions pour défendre le breton". retour ->

(3) Le Monde, lundi 12 novembre. Nathalie Guibert et Vincent Durupt. "Jack Lang veut poursuivre l'intégration des écoles Diwan dans le service public". retour ->

Contact: Syndicat Occitan de l'Éducation (SOE)
BP 6. 33450 St SULPICE et CAMEYRAC.
Tel/Fax : 05.56.30.22.39 e-mail <soe@occitanie.com>
Site internet: http://www.occitanie.com/soe/ 

Rappel:

Pour soutenir le mouvement en faveur de la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, envoyez un chèque de 10 francs (à l'ordre de "Pour que vivent nos langues") à:

"Pour que vivent nos langues" 46 rue Branda. 29200 Brest.

 

 

Dernière mise à jour : 08/03/02