Un poète savoisien : Jean-Pierre Veyrat (1810-1844)

Dans son article plein d'humour "Vo parlâ francè?" (voir l’Écho de Savoie de mars dernier), Dominique Stich évoque les auteurs savoisiens en regrettant que "nion sachèze rin de rin su noutro poèto". Tentons donc de combler en partie cette lacune en découvrant un grand poète savoisien, Jean-Pierre Veyrat.

Jean-Pierre Veyrat est né à Grésy sur Isère, à côté d’Albertville, en 1810, treizième enfant d’une fratrie de dix-huit! Son père est un important propriétaire terrien, il fait aussi le commerce des tissus et des épices. Jean-Pierre, lui, n’est pas un homme de la terre, et il n’a pas de vocation pour le négoce comme son père. Celui-ci envisage donc de faire de ce fils un médecin. Il l'oriente vers les études classiques, ce qui à l’époque était réservé aux enfants de familles aisées, d’abord à Conflans, puis au petit séminaire de Saint-Pierre d’Albigny et au renommé Collège des Jésuites de Chambéry.

Étudiant à l’école de médecine de Chambéry, préparatoire à l’université de Turin, il est déjà depuis longtemps captivé par le monde des Lettres. Le courant romantique s’est emparé de beaucoup d’esprits généreux, épris de liberté, qui rejettent les principes de la restauration monarchique de 1815 et qui appellent à une autre conception de la société. Jean-Pierre Veyrat va y adhérer sans réserve et se placer au premier rang des contestataires de la société chambérienne.

Mais la police traque impitoyablement les opposants au régime et les envoie en prison. En janvier 1832, en pleine cathédrale de Chambéry, lors de la prédication d’un prêtre jésuite —sans doute faisant l’éloge de la monarchie— Veyrat et ses amis provoquent un scandale qui dégénère en émeute. Pour échapper à l’arrestation, il doit s’exiler en France.

La première étape de l’exil sera Lyon, puis très rapidement il rejoint Paris. Il y arrive plein d’illusions, mais le souffle révolutionnaire de 1830 est passé. Quel que soit son talent, il n’arrive pas à vivre de sa plume. Il parvient tout de même à survivre en produisant des pièces de théâtre, genre drame ou vaudeville, jouées au théâtre de la Porte Saint-Antoine, partageant sa vie avec des compagnons d’infortune, écrivains sans éditeur et désargentés.

Il s'endette pour assurer ses publications et continue à solliciter les subsides de son père qui s'en irrite et s'en inquiète. Les épîtres, la correspondance qu'il adresse aux grands noms de la littérature —Chateaubriand, Lamartine— lui valent des éloges flatteurs. Mais la société de Louis-Philippe est résolument tournée vers le développement des affaires et ne laisse plus de place aux poètes idéalistes.

Progressivement, peut-être à la fois sous l'effet de l'insuccès littéraire, de l'incompréhension, de l'isolement, mais aussi de la maladie, Jean-Pierre Veyrat entame une évolution dans ses comportements et dans sa vision du monde. Il se rapproche de la religion, de ses origines et de la terre de Savoie.

En avril 1838, il demande au roi Charles-Albert, qu'il assure de son loyalisme, la possibilité de rentrer en Savoie. Le roi accepte ce retour.

Il est toujours aussi pauvre mais c'est pourtant de cette période de sa vie que date la partie la plus marquante de son oeuvre. Il participe à la vie littéraire de Chambéry de façon très intense. Il écrit dans la "Revue des Alpes", puis dans le "Courrier des Alpes". Il devient membre associé de la "Société Royale Académique de Savoie" dont il a été lauréat. C'est à cette époque qu'il écrit ses deux œuvres majeures: "La coupe de l'exil" et "Station poétique à l'Abbaye d'Haute-Combe", qui sont considérées comme reflétant la meilleure expression, la plus caractéristique de son talent et qui lui vaudront d'être appelé le "Lamartine des Alpes".

En 1844, sa santé décline. Le 9 novembre, il meurt à Chambéry, entouré de sa veuve, de quelques amis et des frères Capucins qui l'ont assisté. Dans son extrême pauvreté, il est inhumé dans la fosse commune.

En 1972, à l'initiative d'un groupe de Grésiliens, une plaque rappelant la mémoire du poète a été posée sur la façade de la mairie de Grésy. L'inauguration était présidée par le ministre Joseph Fontanet, président du Conseil général du département de la Savoie. En 1986, le conseil municipal de Grésy a donné le nom de Jean-Pierre Veyrat à la petite rue du haut du village. Chambéry, pour sa part, avait honoré depuis longtemps Jean-Pierre Veyrat.  

Poème extrait de l'oeuvre de Jean-Pierre Veyrat:

Le retour.

Allons: je veux revoir mes montagnes aimées,  
Mes vallons caressés de brises embaumées,  
Mes pics illuminés des premiers feux du jour,  
Et mes bois, et mon lac aux vagues amoureuses,  
Et ma rivière errante, et ses rives heureuses,  
Et tout ce que j'aimais dans mon premier amour.

J'irai m'asseoir encor sur les hautes falaises,  
Aux flancs des rochers nus, à l'ombre des mélèzes,  
D'où l'on voit à ses pieds les aigles tournoyer,  
Sous la charmille sombre où la brise murmure,  
Au bord de la fontaine où bouillonne une eau pure,  
Au seuil de la maison qu'ombrage un vieux noyer.

Oiseaux, qui revenez à vos amours fidèles,  
Vous me devancerez, rapides hirondelles!

Comme vous je reviens, mais, hélas! triste et seul,  
Semblable au voyageur étranger sur la terre,  
Qui, dans l'éternité retourne solitaire,  
Et qui pour le chemin n'emporte qu'un linceul.

(biographie et extraits tirés d'une notice éditée par l'association "Grésy Action Culturelle" à l'occasion du 150ème anniversaire de la mort de Jean-Pierre Veyrat).

Jean-Paul CHARPIN.
 

Dernière mise à jour : 13/03/02