Benoît Bro |
J'étais au studio de TV8 Mont-Blanc, à Sevrier, en
compagnie d'Alain Dupuis, le vendredi 2 mars dernier vers midi, lorsque monsieur
Guy Démolis, maire de Menthonnex en Bornes, arriva et nous annonça la mort de
Benoît, victime d'une crise cardiaque en quittant son travail à Annemasse, la
veille au soir.
Il m'a fallu plusieurs jours pour me faire à la réalité
d'une disparition aussi imprévue. Dupuis n'avait pensé qu'à Benoît pendant
l'enregistrement du débat auquel il participait, relatif à l'élection
cantonale de Cruseilles; par bonheur, le téléspectateur ne s'en rendit pas
compte.
Benoît menait une vie parfaitement saine et équilibrée.
Célibataire, il vivait près de la nature et consacrait ses loisirs à la
montagne et à l'entretien du gîte qu'il avait créé de ses mains dans sa
maison de Thorens. Cela ne l'a pas protégé de la mort, mais il semblait s'en
soucier très peu.
Je ne suis jamais allé le voir à Thorens. Contrairement
à certains membres de la Ligue, qui faisaient partie du MRS depuis longtemps,
je ne l'avais jamais fréquenté. Je l'ai connu à Annecy, où il venait de
temps en temps me faire part de ses travaux et de ses projets. Inspecteur des
impôts, il avait accès à des informations ignorées du grand public. Grâce
à son travail de recherche mené avec Christian Charrière, "Comptes de
Savoie, première approche", j'ai pu rédiger, dans la fin de l'année
1997, le chapitre de "Renaissance savoisienne" portant sur la balance
fiscale de la Savoie et de la France. Le chiffre de six milliards d'excédent
fiscal annuel, qui ne fut jamais démenti, je le dois à Benoît Bro. Dans sa
recherche, il s'était pourtant heurté à l'opacité du Trésor Public, une
administration à laquelle il n'appartenait pas et qu'il me décrivait comme un
"bunker", fortifié dans une logique de secret.
Benoît était un drôle de fonctionnaire, comme on
voudrait en voir plus souvent. Il faisait vite et bien le travail pour lequel il
était rémunéré, charge qu'il jugeait légère, mais il restait libre, avait
bien d'autres centres d'intérêt et gardait une pleine lucidité sur les tares
du système dont il était un des rouages. Ce système, il allait le quitter: il
avait donné sa démission et se préparait à devenir avocat en effectuant un
stage dans un cabinet à Lyon. Nous n'aurons pas connu Benoît avocat; nul doute
qu'il aurait été brillant dans cette nouvelle profession!
En 1998, Benoît Bro publiait, avec Claude Barbier, le
meilleur argumentaire dont pouvaient rêver les anciens et les nouveaux régionalistes:
"Région Savoie, pourquoi, comment?" Ayant obtenu une préface de
Michel Bouvard, les auteurs s'amusaient pourtant, ou se désespéraient, selon
les jours, de l'inertie des élus.
Il était logique que Benoît Bro prît la présidence du
Mouvement Région Savoie, vacante depuis le décès de Claude Dufour en juin
1998. Il le fit au printemps 1999. Dès lors, nos rencontres se firent plus fréquentes.
Deux déplacements à Bruxelles, et un à Strasbourg, afin de participer aux réunions
du PDPE-ALE, m'ont permis de mieux le connaître. Faire de la politique avec
lui, c'était un bonheur! Benoît comprenait vite, ne s'égarait jamais dans des
chimères ni des détails insignifiants. Sa loyauté était totale. Ce qu'il
proposait, c'est tout simplement une option gradualiste: la Région Savoie,
l'autonomie, la souveraineté. Il argumentait pour la première formule, sans
jamais exclure que les habitants de la Savoie optent librement pour aller plus
loin dans l'émancipation. Il se rendait bien compte que la Ligue savoisienne
dispose d'une organisation infiniment supérieure à celle du MRS. Mais il
restait toujours lucide sur la capacité du système politique parisien à
maintenir la Savoie dans l'infantilisme politique.
Benoît est mort à 35 ans. Ce n'est ni le premier ni le
dernier à être ainsi fauché dans la force de l'âge. Nous avons été
plusieurs centaines à l'accompagner jusqu'à sa dernière demeure, le 7 mars à
Menthonnex en Bornes. Dans notre mémoire, Benoît restera éternellement jeune.
Il nous manquera énormément.
Patrice ABEILLE
Dernière mise à jour : 08/03/02