Charles Millon tente de faire diversion en agitant l'épouvantail savoisien |
Incapable de faire élire son Exécutif, le président de la Région Rhône-Alpes, élu avec les voix du Front national, dénonce l'alliance passée entre la gauche et Patrice Abeille.
Empêtré dans son alliance objective avec les élus du Front national, conclue pour se maintenir à la tête de la Région Rhône-Alpes, Charles Millon cherche à allumer des contre-feux. Hier, alors que les conseillers étaient de nouveau convoqués à Charbonnières pour élire un Exécutif, le président, réélu le 20 mars dernier avec l'apport des voix de l'extrême droite, a fait sonner la charge contre Patrice Abeille, le leader de la Ligue savoisienne. Une manière comme une autre de détourner l'attention et d'éviter de passer aux votes pour désigner la quinzaine de vice-présidents que prévoient les textes. «Millon ne peut pas prendre ce risque. La plupart de ses amis ne veulent pas être élus avec les voix du Front national. Alors, il joue le pourrissement. Il va tenter de gérer tout seul comme un monarque...», commentent dans les couloirs plusieurs responsables socialistes.
Premier à monter au créneau, le sénateur UDF Jean-Claude Carle s'émeut des quolibets «Millon nazillon» entendus au fil des manifestations anti-FN organisées ce week-end en France. «On est victime d'un véritable lynchage», s'indigne l'élu haut-savoyard qui porte aussitôt le fer en direction de Patrice Abeille, coupable d'avoir voté en faveur de Jean-Jack Queyranne, candidat de la gauche plurielle.
«Que lui avez-vous promis?», lance Jean-Claude Carle à l'adresse du secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer. «Comment un ministre peut-il faire alliance avec un homme dont le mouvement prône une région souveraine hors de notre République, refuse nos institutions et a constitué un gouvernement en exil à Genève?», insiste Jean-Claude Carle. «En acceptant la voix de Patrice Abeille, Jean-Jack Queyranne porte clairement atteinte à l'intégrité de notre territ oire. Il tombe sous le coup de l'article 410-1 du Code pénal. C'est une faute majeure», renchérit Etienne Blanc, autre membre de la garde prétorienne de Charles Millon, qui ose agiter le spectre de la Haute Cour de justice (!), seule habilitée à juger les ministres en exercice.
A gauche, personne n'est dupe de la manoeuvre. «C'est ignoble», s'écrie le socialiste Roger Léron. «Cela devient pathétique. Combien d'interventions comme celles-là avez-vous prévues?», ironise un autre élu de gauche, tandis que Charles Millon accorde une première suspension de séance sous les huées. «Tout cela est incroyable. Du grand guignol», ironise le socialiste Gérard Collomb, maire du 9e arrondissement de Lyon, en comparant le président de la Région à «une guêpe dans un bocal».
«Les textes sont clairs. L'Exécutif de la Région, c'est le président, et le président, c'est moi...», déclare Charles Millon qui prépare déjà la séance du budget, fixée au 15 avril.
Pour lui, il n'est pas question de démission. Après avoir résisté plus d'une semaine aux pressions exercées de toutes parts, l'ancien ministre de la Défense entend bien ne pas céder. Et c'est bien ce qui inquiète ses adversaires parmi les plus farouches. Faisant le distinguo entre l'instance exécutive et l'instance délibérative, Charles Millon ne nie pourtant pas les problèmes que rencontre cette dernière, mais il veut se donner une semaine supplémentaire pour tenter de les régler. En prenant prétexte du problème, selon lui «fondamental», que pose la présence d'un indépendantiste savoisien sur les bancs de l'Assemblée régionale. «Je vais saisir les plus hautes autorités de l'Etat dans les prochains jours», affirme-t-il, alors que le laps de temps qu'il s'accorde jusqu'à lundi a surtout pour objet de resserrer les rangs distendus de ses propres troupes.
Rejetant l'ensemble de l'argumentation développée à son encontre, Jean-Jack Queyranne a pour sa part dénoncé «l'escroquerie politique» à laquelle il a été donné d'assister hier. «Vous ne pouvez pas diriger la Région depuis votre blockhaus. Vous vous enfermez. Vous êtes en train de conduire Rhône-Alpes dans une véritable déroute. Soit vous gérez avec le Front national, soit vous démissionnez, si assumer votre accord vous répugne aujourd'hui.»
José CARRON
La Tribune de Genève, 31 mars 1998
Dernière mise à jour : 08/03/02