Les savoisiens font parler les morts pour accuser la France de génocide

Trois cents indépendantistes se sont rassemblés hier à Chambéry pour célébrer, à leur manière, l'Armistice de 1918. Et prôner le retrait de la «puissance annexante».

«La guerre de 14-18 reste l'un des moments les plus tragiques de l'histoire de la Savoie. Toutes nos familles ont été marquées par le conflit», lance l'un des orateurs de la Ligue savoisienne. Devant lui deux à trois cents indépendantistes ont pris place sur une tribune où flottent les drapeaux des six provinces surmontés d'un ruban noir. Tous ont gagné Chambéry, la capitale, pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de l'Armistice et rendre hommage aux quelque 22 000 savoyards «morts par la France» et non «pour la France».

«Les Savoisiens rejettent avec force l'écoeurante rhétorique de l'impôt du sang institué par la France», explique Patrice Abeille, le secrétaire général de la Ligue, qui trouve là une occasion de remobiliser ses troupes. Mais c'est à Jean de Pingon, l'historien et le juriste du mouvement indépendantiste, que le conseiller régional a laissé hier la vedette pour accuser la France de «génocide». Rien de moins.

Violation de la neutralité

«Le mot génocide qui signifie «la mise en danger de tout ou partie d'un groupe national», convient parfaitement pour décrire l'attitude de la France, puissance annexante, vis-à-vis de la Savoie», a expliqué Jean de Pingon qui estime qu'il y a eu, lors du premier conflit mondial, «violation unilatérale de la neutralité de la Savoie, établie formellement par les traités de 1815 et 1816 et confirmée par le traité d'annexion de 1860». «Un génocide reste un génocide qu'il soit juif, arménien ou savoisien», a-t-il poursuivi en considérant qu'à l'époque, «la France avait enfoui sans vergogne les Savoisiens et leurs droits dans les tranchées. C'est un fait historique et ceux qui le contestent, comme l'historien Paul Guichonnet, sont pour moi des révisionnistes». Jean de Pingon qui se dit prêt à affronter son ennemi juré devant les tribunaux «pour que le débat puisse avoir lieu et que la vérité éclate».

«Chiens de Français»

Chaudement applaudi par les indépendantistes, le cofondateur de la Ligue savoisienne s'en est ensuite pris aux fonctionnaires français, aux préfets et aux sous-préfets des deux départements de Savoie et Haute-Savoie, en invitant ses supporters à agir pour que «tous soient rapatriés dans les plus brefs délais». Et de rappeler l'épisode pas si lointain où les mêmes étaient qualifiés de «chiens de Français» par les Genevois. Emporté par son élan, Je an de Pingon s'est ensuite pris à rêver que les représentants de l'Etat français «soient jetés dans la fosse à purin avec leur drapeau tricolore et leur hymne raciste (La Marseillaise)», mais il ne s'agissait sans doute que d'un effet de tribune. D'ailleurs les policiers, qui surveillaient les Savoisiens du coin de l'oeil tout en contenant une poignée de contre-manifestants de Ras le Front rassemblés sous une banderole dénonçant «les détourneurs d'histoire», n'ont pas bronché.

Plus sérieusement, le juriste de la Ligue qui revendique un peu plus de 5000 adhérents et ramasse de 5% à 7% des suffrages dans les scrutins électoraux auxquels participent ses représentants, a conclu son intervention en appelant de ses voeux l'avènement d'une Région Savoie, indépendante de Rhône-Alpes. Selon lui, ce serait un premier pas important vers l'indépendance. «Ceux qui assassinèrent nos pacifiques aïeux et saccagent aujourd'hui notre pays, doivent savoir que leur temps en Savoie est révolu», a encore lâché Jean de Pingon avant d'entonner Les Allobroges, l'hymne des indépendantistes.

José CARRON
Tribune de Genève, 12 novembre 1998  

Dernière mise à jour : 10/03/02