La lengoua de la Savoué est lè

Quel réel bonheur d'apprendre par l'Académie Florimontane que la langue savoyarde n'existe pas! Si, contre toute évidence, elle décide de l'affirmer comme 2 et 2 font 5 ou 6 et non 4, nous n'allons pas contrarier les quelques "autorités" (dont Paul Guichonnet, le vieil ami de la Ligue savoisienne) faisant fonctionner cette aimable institution selon un système gérontocratique, dont le seul titre de gloire pour la défense de ce qu'elle nomme le "patois" fut que ladite société savante compta dans ses rangs, rappelle-t-elle, un Vice-Président en 1891 en la personne de Constantin, le co-auteur avec Désormaux d'un dictionnaire de savoyard. A ce rythme-là, dans trois siècles une méthode de savoyard unifié sortira.

Une aspiration populaire.

Tout le monde sait désormais que cela n'est qu'une énorme bêtise: nous constatons simplement que la langue savoyarde existe. Nous n'avons même pas à porter de jugement sur la répression dont elle a été victime comme toutes les autres langues de l'hexagone à un moment historique donné: c'est indubitable, sinon en Savoie la majorité de la population la parlerait encore comme dans la Vallée d'Aoste. Ce que nous savons pourtant, c'est que dans un monde en perte de repères, elle fait l'objet aujourd'hui auprès d'une frange très importante de la population d'un vif regain d'intérêt. Il est aussi devenu un lieu commun d'affirmer qu'un profond malaise se niche au coeur de la modernité. Indubitablement la société actuelle traverse une nouvelle révolution technologique et une transformation du mode de production. Cela s'accompagne d'une forte détérioration ou au moins d'une recomposition des liens sociaux, voir des liens affectifs, dans le cercle de famille, le travail, les croyances et l'autorité. Un besoin de nouvel ancrage se manifeste, et lorsqu'il aboutit, cela peut donner naissance à des mouvements culturels féconds comme en Bretagne ou au Pays de Galles. A chaque fois la langue y joue un rôle de premier plan. C'est une solution parmi d'autres à ce que l'on appelle le malaise de la civilisation, qui explique cette appétence de voir reconnaître son "identité", sa "culture", sa langue.

Aussi, partant de l'exemple concret de ce qui se fait dans d'autres Régions, voici deux ans nous avons décidé d'explorer les voies qui nous permettraient de favoriser l'émergence en Savoie d'une culture populaire enracinée et moderne à la fois, comme en Corse, au Pays Basque et en Bretagne.

Nous avons dit la vérité!

L'interview qui a mis le feu aux poudres laissait s'exprimer José Harrieta (Joseph Henriet), militant alpin ou arpitan depuis plus de trente ans, paysan enraciné, fier de sa culture francoprovençale et soucieux de la faire évoluer. Elle bousculait beaucoup d'idées reçues, notamment celle d'un Val d'Aoste libre et francophone. Mais comme seule la vérité est révolutionnaire nous avons décidé de la publier. Les faits prouvent que nous avons eu raison. En effet coup sur coup deux organes de presse ont abondé dans notre sens. "Arritti" a publié un article d'Alain Favre, secrétaire du MRS, qui affirme au passage que la réussite du peuple valdôtain "s'avère bien fragile quand elle ne ressemble pas désespérément à un échec." Il constate ensuite: "la langue italienne exerce aujourd'hui une domination écrasante, au point de ne plus laisser de place pour les autres", tant et si bien qu'en descendant l'ensemble de la vallée, il n'entendra parler qu'"exclusivement italien". En remontant dans les vallées latérales, il entendra par contre parler arpitan, langue qui se trouve selon Favre dans un "état de créolisation très avancée." (Cf. Arritti, n° 1711, juin 2000, pp.6-7. Alain Favre."Vallée d'Aoste, le mirage?" ). Le très institutionnel hebdomadaire "Le Point" va encore plus loin. Après avoir décrit les conséquences néfastes de l'assistanat romain très poussé, son reporter constate: "Si deux idiomes cohabitent effectivement au sein de la population, ce n'est pas le français qui concurrence la langue italienne, mais le patois issu de l'ancien dialecte francoprovençal."(Le Point, n° 1447, 9 juin 2000, pp. 84-88. Yves Cornu. "Le blues du Val d'Aoste.")

Bas les masques !

Pour que la vérité soit aussi difficile à découvrir, il faut qu'on la dissimule. Quel genre d'argumentation emploient les adversaires de la langue? Elle est toujours la même, alors démontons-là une bonne fois pour toutes.

Aujourd'hui au Val d'Aoste, malgré l'obligation scolaire du français durant 12 années, quasiment personne ne parle correctement français, comme s’étonnent d'ailleurs les journalistes venus enquêter sur cette Région autonome, tandis que tout un chacun s'exprime en francoprovençal ou en italien. Mais là-bas aussi d'autres petits académiciens de cour vont vous expliquer contre toute évidence que la langue du Val d'Aoste est le français, tandis que le "patois", ce "parler avec les pattes", n'est qu'un mauvais français employé par le peuple, éclaté en 24 dialectes, alors que bien évidemment il s'agit de deux langues totalement distinctes. Le sous-entendu étant que le peuple est trop bête pour parler correctement français! Ils n'agissent pas autrement que ces fransquillons dénoncés par Joseph Henriet, comme le Professeur Tuaillon, ce Guichonnet des langues Régionales, qui a tenté de faire croire des décennies durant qu'il existait en Savoie trois ou quatre dialectes différents, ou qu'un "patois" ne pouvait fonctionner correctement que dans un rayon de 20 km.

Le peuple, lui, sait que cela est un mensonge et que son parler local va même bien au-delà de la frontière française: il y a quelques jours, dans une partie de pêche, une personne de l'Avant-Pays savoyard m'expliquait qu'il comprenait parfaitement un valdôtain s'exprimant en francoprovençal, à condition de parler un peu lentement. De la même façon qu'un Bourguignon le demandera à un Marseillais francophone qui s'exprime "avé l'assent"...

C'est sur ces différences que les personnes hostiles aux langues Régionales se sont appuyées pour les diviser à l'infini: personne ne s'exprime dans une langue exactement de la même manière que son voisin. 150 millions de locuteurs francophones différents, c'est 150 millions de façons de l'utiliser, un milliard d'anglophones, un milliard de façons de parler anglais et 100 000 locuteurs d'arpitan, 100 000 façons de le parler par 100 000 personnes différentes, parce que comme les faits et les gestes, la parole dans une langue traduit l'expression et le caractère unique de la personnalité.

Nous ne nous laisserons pas impressionner ainsi par ce genre d'argumentation que l'on retrouve dans toutes les Régions. Ainsi on admet généralement aujourd'hui l'existence d'une langue bretonne, et pourtant on peut encore lire ce genre de propos dans "l'Ouest syndicaliste", organe de Force Ouvrière d'Ille et Vilaine d'octobre 1999: "Sur la langue bretonne, faut-il rappeler que les "anciens" ne comprennent pas le breton télévisé, pas plus que les Finistériens ne comprenaient les Léonards autrefois? Les vrais Bretons sont octogénaires ou en voie de disparition." Ces déclarations peuvent être rapprochées de celle de l'Académie Florimontane qui "proteste contre la création et l'enseignement d'une "langue savoyarde" artificielle, langue de prestige, à faire admettre au nombre des langues Régionales reconnues en France, langue de nulle part, de tout le monde et de personne." Encore une fois ces partisans de la langue unique, le français, mettent en avant des arguments ethnistes qu'on croyait appartenir à une des époques les plus sombres de notre histoire : "vrais bretons", et "langue de nulle part, de tout le monde et de personne", comme si une langue pouvait avoir un propriétaire.

Beaucoup de "patoisants" maintenant viennent de l'extérieur et on enseigne l'arpitan même en Catalogne. En outre, on peut se montrer indigné qu'une Académie à prétention scientifique puisse établir une hiérarchie des langues: certaines seraient de prestige et d'autres pas! En dehors d'un lourd présupposé totalement incompatible avec la démarche scientifique, cela démontre qu'une certaine passion à vouloir défendre (mal) le français fait tomber immédiatement dans des considérations gratuites de café du commerce. Selon cette pseudo-Académie la "sauvegarde du patois" consisterait donc, en enfermant la langue savoyarde dans un localisme extrémiste, dépassé et replié sur lui-même, à l'empêcher de s'adapter à la société moderne, à la folkloriser d'une façon caricaturale afin de l'accompagner plus sûrement au tombeau. En dehors de petits cénacles confinés où cela sent si fort le moisi qu'aucun jeune n'a envie d'y pénétrer, où sur sa table d'opération on ne connaît que la division et la soustraction alors que depuis longtemps on aurait pu additionner les multiplications, il existait potentiellement des gens ayant les capacités intellectuelles et morales susceptibles de faire avancer le débat, la création et la diffusion d'idées et de spectacles nouveaux. C'est ainsi qu'en dépit de potentialités fortes et d'un désir de la population évident et sincère, nous nous heurterions toujours à des conservatismes très forts s'appuyant sur des baronnies inexpugnables, bien que toujours déclinantes. Il nous faudrait les contourner pour arriver à des résultats, le premier d'entre eux étant la langue savoyarde et sa reconnaissance. C'est la raison pour laquelle il fallait faire pénétrer l'air frais d'abord dans ce milieu.

L'Académie florimontane est bien entendu aujourd'hui un des fleurons de ce conservatisme. Â l'heure de la construction européenne et des eurorégions, les Savoisiens n'accepteront plus les fadaises sortant des rangs de cette pseudo Académie. Ils n'accepteront plus de jouer les valets de Paris sur l'injonction de ces notables totalement coupés de la réalité populaire. C'est ce qui explique la présence persistante dans le mouvement culturel savoisien de tant d'archaïsmes sclérosants. Nous sommes également très heureux de constater que les ennemis de notre langue et de notre culture ont maintenant jeté les masques. A cet égard, la position figée et stérile de l'Académie Florimontane traduit si bien, une fois de plus, cette "exception française" dont les implications principales sont la quasi-impossibilité de faire aboutir toute tentative de réforme quel que soit son objet dans le cadre de la société française.

Vers la reconnaissance de la langue savoyarde

Devant ces constats accablants, envers et contre tout, nous allons tenter de faire quelque chose pour cette langue. Nous avons su rassembler, en Savoie et aussi hors de Savoie, un certain nombre d'intellectuels pour enfin donner une nouvelle jeunesse à notre langue et ainsi aborder le XXIème siècle dans le concert d'une Europe aux 200 drapeaux. Qu'ils se nomment Bron, Stich ou Calin, tous sont des hommes de leur temps qui estiment maintenant que le savoyard est une langue au même titre que le corse, le français, l'occitan ou l'italien. La marche vers l'unification est donc bien commencée, et ce ne sont pas les élucubrations de quelques notables sans influence qui y changeront quelque chose. La réforme passera car il en va de la survie et de la renaissance de notre langue et de notre culture. Nous sommes bien sûr conscients que par rapport à ces langues le francoprovençal se trouve aujourd'hui handicapé, car il lui manque encore les termes de culture qui permettent aux autres langues de décrire la réalité du monde moderne, mots qui dans les autres langues ont généralement été empruntés au grec et au latin. Le savoyard doit entamer ce processus d'emprunt et il va rapidement rattraper le temps perdu.

Les premiers résultats sont déjà là. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, si en Savoie pour l'Académie Florimontane la langue savoyarde n'existe pas, il n'en va pas de même à Grenoble! La langue savoyarde, c'est justement l'intitulé d'un stage de trois jours et demi que suivront à partir de septembre 12 enseignants dans le cadre de la formation continue du Rectorat de Grenoble; au Conseil Régional de Charbonnières (près de Lyon) aussi, puisque Patrice Abeille a fait voter ses deux voeux portant sur la reconnaissance par l'Etat français du francoprovençal et la création d'un CAPES ainsi que sur la nécessité de réviser la Constitution pour pouvoir ratifier la charte européenne des langues Régionales ou minoritaires.

Tout ceci n'est possible que parce que nous avons lancé le débat sur la nécessité d'une "koinè" alpine ou arpitane.

Après 140 ans d'annexion, les Savoisiens aspirent enfin à reprendre leur destin en main et à être eux-mêmes, avec leur deux langues, la française et celle que l'on a si souvent pratiquée en famille, ce francoprovençal, ni meilleur, ni pire que les autres langues. Comme le disait Fénelon, de l'Académie française, à propos du français :"Notre langue n'est qu'un mélange de grec, de latin et de tudesque, avec quelques restes confus de gaulois" comme le savoyard est un latin du Bas-Empire avec des "restes" de celte, de burgonde et de franc. Mais c'est notre langue aussi pour nous permettre d' "Etre nos mèmo"!

Pascal GARNIER

Pour rappel :

safbul2d.gif (207 octets) Dominique Stich. "Parlons le francoprovençal: une langue méconnue". Ed. L’Harmattan. 432 p. à commander en librairie ou auprès d’une librairie en ligne (par exemple via la page 'boutique' de ce site).  
safbul2d.gif (207 octets) Marc Bron, Olivier Frutiger et Louis Terreaux. Propositions pour la langue savoyarde. à commander avec un chèque de 30 francs par exemplaire à: Marc Bron, Doucy, 74 420 Habère Poche.  
safbul2d.gif (207 octets) Vous pouvez toujours soutenir la langue savoyarde en envoyant votre chèque-pétition de 10 francs libellé à "Pour que vivent nos langues" à adresser à Arritti BP 5 20 288 Bastia Cedex.

Dernière mise à jour : 13/03/02