La Ligue savoisienne n'est ni populiste, ni xénophobe

 

Réponse aux articles de M. Luc Rosenzweig
safbul2d.gif (207 octets) "Le populisme alpin, phénomène transnational" paru dans Le Monde du 12/03/1999 page 1
safbul2d.gif (207 octets) "Un populiste dans un pays mal dénazifié" paru dans Le Monde du 06/10/1999 page 2.

Annecy le Vieux, le 20 décembre 1999.

Apparu à la une du Monde le 12 mars 1999, un nouveau concept, du moins un nouveau label, fait un petit succès dans les gazettes de France et de Suisse romande: le "populisme alpin". L'article du 12 mars évoque, derrière le maigre paravent d'une figure de style ("il serait inadéquat d'estimer...") le danger d'une "avalanche brune déferlant des Alpes sur l'Europe" et le risque de voir la classe politique des Alpes françaises "pactiser avec le diable". On le voit, ce qui est désigné comme "populisme alpin", dont je suis nommément désigné comme l'un des représentants, ne serait guère éloigné de la "peste brune" du nazisme. L'impression se confirme le 6 octobre, quand mon nom est cité dans un article intitulé "Un populiste dans un pays mal dénazifié", consacré à l'Autriche et à Jörg Haider.

Le Monde me classe donc explicitement, avec la Ligue savoisienne dont je suis le secrétaire général et l'élu régional, dans le casier revêtu de l'étiquette désormais infamante de "populisme alpin". Déjà jugé, déjà condamné, je demande pourtant à être entendu.

Ne tenant pas à m'épuiser —ni à épuiser le lecteur— en me lançant dans une cavalcade analytique qui, "de Nice à Ljubljana" prétendrait décrypter en quelques phrases les messages politiques délivrés par MM. Haider, Blocher, Stoiber et Bossi, je me cantonnerai à ce que je connais bien, à mon engagement, à la Ligue savoisienne et à la Savoie.

Si j'ai bien lu, la Ligue se caractériserait, comme les autres mouvements "populistes alpins", par quatre traits communs: "la xénophobie, la célébration des vertus supposées des peuples de la montagne (ardeur au travail, sens de l'économie, rigueur morale), la glorification du terroir menacé par de lointaines capitales peuplées de politiciens et de fonctionnaires corrompus et incompétents, enfin la haine viscérale de "Bruxelles", symbole de la dégénérescence bureaucratique de l'Europe des plaines".

Xénophobie savoisienne? Il ne suffit pas d'affirmer pour prouver. Où sont les citations, les discours, les articles, les propos xénophobes attribuables à la Ligue savoisienne? Où sont les procès qui nous seraient inévitablement faits sur le fondement de la loi Gayssot? Au-delà des fantasmes, l'information doit s'attacher aux faits. En voici deux:

Aujourd'hui, pour devenir membre de la Ligue savoisienne, il faut signer un engagement de bonne conduite, reposant sur les valeurs de "tolérance, courtoisie et responsabilité", mais il n'est nullement nécessaire de produire un titre de nationalité. Ainsi se retrouvent, dans notre mouvement, des personnes de toutes provenances, réunies seulement par leur volonté de restaurer la souveraineté de la Savoie.

Demain, pour être citoyen de la Fédération savoisienne, renaissance d'un État souverain en Savoie, il suffira de résider principalement sur son territoire et de manifester la volonté de participer à l'exercice de la démocratie. C'est un engagement pris par la Ligue savoisienne en 1996, renouvelé en 1998 au moment du vote, par notre Troisième Congrès, de notre Projet de Constitution.

À côté de ces faits, que dire de l'exemple de la France, où certains partis réservent l'adhésion aux seuls citoyens français, et où l'on débat depuis vingt ans du droit de vote des étrangers sans jamais l'accorder?

Célébration des vertus supposées des peuples de la montagne? Je veux bien que l'on me démontre que le peuple savoisien est porté à la paresse, à la prodigalité, à la corruption de ses moeurs... Mais que dire de ce peuple français qui tous les jours se définit comme le plus spirituel de la terre, le plus cartésien, le parangon du savoir-vivre et de la courtoisie, l'inventeur et le farouche défenseur des Droits de l'Homme? Je veux bien sourire de cette auto-célébration gauloise permanente, à condition que l'on ne vienne pas insulter mon peuple, ni mes convictions.

Glorification du terroir? José Bové, qui lutte pour une "agriculture paysanne", serait-il lui aussi un "populiste alpin", de même que Jean Glavany et Dominique Voynet? Dans ce cas, ou bien les Alpes sont un terroir en forte expansion, ou bien le populisme est devenu un club très fréquentable et très fréquenté...

La haine viscérale de "Bruxelles"? Je tiens à signaler au Monde que la Ligue savoisienne est membre observateur du PDPE-ALE (Parti Démocratique des Peuples d'Europe-Alliance Libre Européenne) et participe à toutes ses réunions. Ce parti européen a son siège et son secrétariat au parlement européen de Bruxelles. Il est présidé par madame Nelly Maes, élue d'un pays, la Flandre, qui ne tire pas sa célébrité de ses montagnes!

Le Monde reproche en outre à la Ligue savoisienne de concurrencer le Front National "sur le même terrain". Or tout le monde sait que le FN a prospéré grâce aux électeurs déçus par les partis traditionnels, de gauche comme de droite. Ensuite, le score électoral du FN n'a jamais dépassé 16% en Savoie, alors qu'il était largement supérieur dans les plaines lyonnaises ou stéphanoises, sans parler du littoral méditerranéen. Une analyse sérieuse remplacerait ici avantageusement l'a-priori: le succès de l'extrême-droite n'a rien à voir avec le relief!

Quant au recrutement supposé de la Ligue savoisienne parmi "les petits patrons et les ouvriers bien payés", personne n'est en mesure de le démontrer. Il suffirait au Monde d'envoyer un observateur aux principales réunions de la Ligue pour constater que notre mouvement est à l'image de la société. Je suis bien placé, étant le secrétaire général, pour savoir que les personnes modestes, ou même en difficulté économique, y sont nettement plus nombreuses que les "nantis", et pour connaître l'effort que représente pour toutes ces personnes le paiement de leur cotisation.

Je lis encore que la Ligue savoisienne aurait un "discours carré, qui fleure bon les alpages et donne des solutions simples à des problèmes compliqués". Soit. Du moins propose-t-elle des solutions. J'ai été élu conseiller régional par 6% d'électeurs qui adhèrent à des solutions, peut-être simples, en tout cas claires et novatrices: la souveraineté, la démocratie, la transparence, la liberté.

À Londres, au dix-huitième siècle, la monarchie considérait sans doute les intentions de MM. Washington et Jefferson comme "des solutions simples à des problèmes compliqués". Aujourd'hui à Londres, beaucoup d'Anglais estiment que l'indépendance de l'Écosse, proposée par le SNP, est "une solution simple à un problème compliqué". Et pourtant l'idée d'indépendance, après avoir été prise à la lettre par un grand nombre de peuples sur quatre continents, progresse à présent en Europe parmi les peuples annexés par de puissants et encombrants voisins. Honni soit qui mal y pense!

Enfin, quelle stupeur de voir mon nom imprimé dans un article intitulé "Un populiste dans un pays mal dénazifié"! Le propos, portant sur Jörg Haider, comportait cette phrase: "Qu'ils s'appellent Umberto Bossi à Milan, Christoph Blocher à Zurich ou Patrice Abeille à Annecy, les dirigeants de ces mouvements flattent les réflexes de repli sur soi de populations montagnardes soucieuses de préserver leur identité et un mode de vie qui seraient menacés par la mondialisation de l'économie et l'intégration européenne".

Le problème, c'est qu'à la préservation de l'identité et du mode de vie, souci honorable, sont associés le "repli sur soi", déjà critiquable, et surtout la "mauvaise dénazification" de l'Autriche.

Il est malheureusement probable que l'Autriche a été "mal dénazifiée" après la guerre. On peut d'ailleurs se poser la même question pour d'autres pays, dont la France. Quant à moi, né en 1954, je suis savoisien, élu régional et porte-parole de ceux qui souhaitent la souveraineté de la Savoie dans l'Europe des peuples. Je demande la liberté de pouvoir défendre cette légitime aspiration sans être assimilé à la lie de l'humanité. Est-ce trop demander?

Patrice Abeille.
Patrice Abeille est Conseiller régional (région Rhône-Alpes) et Secrétaire général de la Ligue savoisienne.

(Réponse parue dans Le Monde daté du 25 décembre 1999, page "Débats" n°17)

Dernière mise à jour : 13/03/02