Figure militante: Alan Stivell, ou la défense de la Bretagne libre à Paris comme à Rennes |
Il l'a
bien mérité, cet honneur de chanter et de jouer dans un stade de France rempli
de 70 000 personnes. Cette année Alan Stivell a réalisé le final de la nuit
celtique froide et lumineuse de la Saint-Patrick au stade de France. Cet
inlassable défenseur de la cause bretonne depuis maintenant plus de 35 ans
nhésite pas, entre deux morceaux, de marteler ses idées: identité régionale
et écologie, qui ne sont que les deux faces dun même combat. Par exemple
après son légendaire Tri Martelod à la harpe celtique, il parle des marées
noires et enchaîne «Ceux qui sèment la mort
et font récolter lor noir,
Plutôt la mort que la souillure, tel était le slogan, Au pays dhermine
pure, au pays des goélands.»
Dans sa
présentation, Jean-Pierre Pichard, le charismatique directeur du Festival
Interceltique de Lorient et organisateur de cette soirée, un des hommes qui
dans lhexagone ont sans doute le plus contribué à endiguer la fin programmée
des cultures minoritaires en général, va à un essentiel sans excès, mais
juste ce que doit savoir et dire tout défenseur dune de ces identités régionales
ou nationales
qui, selon son expression, «ont survécu au rouleau compresseur de lhistoire
des plus forts». Et ce samedi 15 mars: "Ces musiques de nos mémoires
vivantes qui viennent du fond de notre imaginaire se sont affirmées comme
lantidote à luniformisation programmée dans un immense espace transformé
en espace onirique.»
La
magie, la communion musicale ont été les maîtres mots cette nuit déquinoxe,
les gavottes et les an-dros se sont déroulés autour dartistes, en dehors
dAlan Stivell, comme Carlos Nunez, Denez Prigent, Liam OFlynn ou Sinead
OConnor.
Face
à son public manifestement ravi, Alan Stivell a conclu en appelant à
manifester pour la défense des écoles Diwan.
Samedi 23
mars, Rennes, retour sur le terrain pour Stivell: les bretonnants se sont
rassurés ce jour-là sur leurs propres forces en réunissant plus de 15000
personnes dans les rues de Rennes. 15000 manifestants pour le breton, c'était
du jamais vu: le Conseil culturel de Bretagne a réussi le plus important défilé
jamais organisé sur la question en Bretagne. Après le coup de massue asséné
en novembre par le Conseil d'État, le mouvement breton s'est donc ressaisi en
mobilisant toutes ses forces et même au-delà : derrière les 500 sonneurs,
sous une nuée de Gwenn-ha-du (le drapeau breton blanc et noir), le défilé de
deux kilomètres
de long alternait toutes les forces vives de la culture bretonne: les parents d'élèves
des trois filières d'enseignement (Diwan, privé, public), les cercles
celtiques et des bagadoù ainsi que nos amis de R&PS, de lUDB et de
Frankiz Breizh.
Dans
la marée de gwen-ha-du colorée de drapeaux occitans, catalans, gallois et
européens, les militants de longue date semblaient presque incrédules devant
l'ampleur du succès. L'autre point marquant de cette journée, c'était la
jeunesse d'une bonne partie des manifestants, une génération issue de
vingt-cinq ans d'enseignement bilingue et immersif. Mais au-delà de cette bouffée
doptimisme, là-bas aussi tout reste à faire pour réussir le sauvetage de
la langue bretonne. Et le soir Alan Stivell était toujours là pour le concert
daprès manif: «Ça vous paraît con quon parle breton, Lalalalalaleno
»
Dans
ton dernier album Back to Breizh, il y a cette chanson Armoricaine (suite) avec
un nouveau texte. Ça parle de la Bretagne mais en Savoie, j'ai interprété ça
comme une invitation pour que la langue savoyarde soit reconnue et transmise...
Oui
bien sûr, parce que j'ai parlé des Tibétains, de plein de gens mais pas des
Savoyards; mais on ne peut pas les citer tous. Ce qui est important, c'est de
faire penser aux gens qui vont s'intéresser à telle culture ou à tel peuple
que ce n'est pas une raison de se désintéresser d'une autre culture ou d'une
autre langue qui est plus
proche de chez eux. C'est l'idée, ça vous paraît con qu'on parle
breton, par contre vous pouvez vous intéresser aux Inuits, aux Tibétains, aux
Québécois mais malgré tout ça vous paraît con qu'on parle breton! Donc évidemment
c'est la notion, ça peut-être "ça vous paraît con qu'on parle savoyard
ou alsacien". C'est pour le faire comprendre aux gens, leur façon
paradoxale de voir les choses...
Comme
ici il y a un concept interceltique, chez nous on parle parfois d'interalpin ou
d'Arpitanie. Penses-tu qu'il y ait de la place pour l'affirmation d'autres
mouvements culturels en Europe comme chez nous?
Ce qui
est intéressant quand tu parles de la Bretagne et de l'interceltisme, c'est
qu'on est déjà entré dans cette notion de biculturel. Bien sûr quand tu es
sur le pourtour de l'État français, tu es déjà ailleurs, tout en étant à
l'intérieur. Un Breton par exemple est un peu un Français, on ne peut pas le
nier, mais il est un peu en Irlande à la limite, il a les pieds sur les deux côtés
d'une frontière et au fond la Bretagne est aussi un pays transfrontalier dans
une certaine mesure, comme la Savoie avec la Suisse et le Val d'Aoste. Mais ce
que l'on oublie souvent, c'est que la majorité des citoyens d'un État sont
biculturels comme un Breton, un Maghrébin, un Tzigane, un Yves Montand
d'origine italienne...
Au
niveau plus politique, lors des dernières élections l'appel de Carhaix n'a pas
donné des résultats très intéressants.
En même
temps Troadec a été élu maire de Carhaix, capitale de Haute Cornouaille ou du
Poher, et donc ce n'est pas rien. Et il en était un des organisateurs. Cette
notion de se dire à un moment donné on va fédérer sur 4 ou 5 points
importants (comme la réunion du département de la Loire-Atlantique à la
Bretagne ou la reconnaissance de la langue bretonne), plutôt que d'avoir 4 ou
10 ou 12 partis, c'est une idée vraiment super sur ces points vraiment
fondamentaux sur lesquels tous le monde est d'accord, même si ça n'a pas
totalement abouti.
Une
dernière question, cette fois-ci plus sur ta carrière. Tu as tout de même
vendu plus de 7 millions de disques dont 700 000 très récemment, que penses-tu
du fait de ne presque jamais être présent sur les média français?
Je
fais une musique populaire, mais aussi presque underground et alternative. C'est
vrai que je passe vraiment peu sur les radios et télés. Je n'ai d'ailleurs pas
envie de matraquer mais seulement d'informer sur ce que je fais. Avec mes ventes
je devrais pourtant avoir démocratiquement la place qui me revient. Cette
sous-information fait que je ne peux pas lutter contre une image traditionnelle
ou ringarde. Ce n'est pas du mépris comme quand j'étais enfant, mais c'est une
image fausse. J'aimerais juste qu'on me donne la possibilité d'essayer de la
changer.
(Propos
recueillis par Pascal GARNIER)
Dernière mise à jour : 10/05/03